Encore considérées comme taboues, les règles creusent plus que jamais les inégalités de genre en Inde. Alors que diverses initiatives ont permis d’améliorer la situation de l’hygiène menstruelle des femmes dans le pays au cours de la dernière décennie, la pandémie de Covid 19 semble compromettre les progrès réalisés à ce jour.
Un tabou qui a des conséquences sur l’éducation, la santé et l’environnement
Des normes socioculturelles discriminatoires – telles que l’interdiction d’entrer dans la cuisine, de participer à des pratiques religieuses et à des festivités – pendant les menstruations continuent d’exacerber l’inégalité de genre, principalement dans les secteurs de l’éducation et de la santé. L’un des domaines les plus affectés par la gestion des règles est la présence à l’école. En effet, 23 millions de filles indiennes abandonnent l’école lorsqu’elles commencent à avoir leurs règles, tandis que celles qui poursuivent leurs études manquent l’école en moyenne cinq jours par mois. Cela est dû aux tabous sociétaux mais aussi à l’accès aux produits menstruels – que beaucoup d’Indiennes ne peuvent pas se payer – et au manque d’infrastructures adaptées, comme des toilettes séparées pour les filles.
De plus, dans la plupart des régions de l’Inde, le secret, la honte et les idées reçues autour des règles font que les femmes pauvres utilisent des alternatives dangereuses aux produits hygiéniques : des chiffons et des tissus sales, de vieilles blouses et même de l’écorce. En conséquence, un grand nombre de femmes souffrent de leucorrhée, une maladie principalement causée par des pratiques menstruelles non hygiéniques. Enfin, le manque de prévention autour des règles conduit les femmes à acheter au mieux des serviettes en plastique et à les jeter dans la nature au lieu de s’en débarrasser de manière écologique.
De nombreuses femmes ne brûlent pas les serviettes hygiéniques usagées mais les jettent ici et là. Cela rend les environs sales et crée une pollution environnementale.
Priyanka Kumari, chargée de sensibilisation à la santé et à l’hygiène dans le Bihar
Les solutions mises en place par Karuna : distribution et sensibilisation
Afin de surmonter ces enjeux environnementaux, de santé et d’éducation, Karuna-Shechen a pris des mesures efficaces de sensibilisation et d’accessibilité aux produits hygiéniques menstruels à travers le programme Santé et Hygiène des Femmes. Dès 2014, nous avons commencé à mener des actions de sensibilisation à la santé menstruelle dans les écoles et les communautés rurales de nos zones d’intervention. Dans le même temps, nous avons fourni des serviettes hygiéniques aux femmes et aux jeunes filles pour qu’elles aient accès à des produits hygiéniques adaptés à leurs règles. Nous avons également installé des incinérateurs dans les écoles pour permettre une élimination écologique et sans problème des serviettes usagées.
Putul, 30 ans, vit dans le village de Kharaisa, dans le Jharkhand. Elle est bénéficiaire de notre programme de santé et d’hygiène pour les femmes depuis un certain temps déjà.
Elle nous raconte : “Avant, je n’utilisais pas de serviettes hygiéniques car elles sont coûteuses. Mais maintenant, Karuna me les fournit. Cela m’a rendu la vie plus facile. De plus, depuis que Sheela di (salariée de Karuna-Shechen) a commencé à organiser des réunions régulières avec moi et d’autres femmes de mon village, je ne me sens plus mal à l’aise pour parler de mes règles.”
Pourquoi la pandémie impacte encore plus les femmes ?
En raison du confinement et de la fermeture continue des écoles, où la plupart des adolescentes ont habituellement accès aux serviettes hygiéniques, les chaînes d’approvisionnement en serviettes ont été fortement perturbées. Coupées des villes et peu ou pas approvisionnées par les magasins locaux, les femmes et les jeunes filles des villages isolés n’ont pratiquement plus eu accès aux serviettes hygiéniques pendant le confinement.
Afin d’identifier les femmes et les filles qui avaient besoin de serviettes hygiéniques, Karuna a demandé l’aide de ses sensibilisateurs situés dans les villages isolés. Ceux qui travaillaient sur les programmes d’alphabétisation des femmes et d’éducation des enfants avaient un lien direct avec les femmes et les filles. Par la suite, nos chauffeurs ont joué un rôle crucial dans le processus de distribution. Conformément aux directives de confinement, les chauffeurs devaient fournir la quantité requise de serviettes hygiéniques à notre personnel et retourner à la ville au plus tard à 19 heures. Pour que tout soit fait à temps, nos chauffeurs quittaient souvent leur maison dès 4 heures du matin. Dans le Bihar par exemple, nous intervenons dans plus de 90 villages ruraux isolés où l’accès est très difficile, dans un rayon maximal de 70 km.
Outre la poursuite de la distribution ininterrompue de serviettes hygiéniques subventionnées à nos bénéficiaires actuels, nous avons également veillé à ce que des serviettes hygiéniques soient délivrées, parmi d’autres articles essentiels, dans nos kits d’urgence Covid. Dans le cadre de la distribution de secours que nous avons réalisée à partir de juin 2020, nous avons fourni près de 100 000 serviettes hygiéniques aux femmes démunies des zones urbaines et rurales.
Un nouveau projet qui autonomise les femmes et préserve l’environnement
Avec le déconfinement progressif, Karuna est à nouveau en mesure de mener des actions de sensibilisation à la santé menstruelle dans les écoles et les communautés rurales du Bihar et du Jharkhand. Les serviettes hygiéniques constituées de plastique n’étant pas biodégradables et imposant de graves problèmes de gestion des déchets, Karuna a introduit en 2019 des serviettes en tissu réutilisables afin de promouvoir une gestion durable de l’hygiène menstruelle. Nous avons donc intégré la sensibilisation aux serviettes écologiques et lavables dans notre activité d’éducation à la santé des femmes.
Les jeunes filles ont tendance à préférer les serviettes en tissu aux serviettes hygiéniques, car elles apprécient l’aspect écologique et réutilisable à long terme des serviettes en tissu. Ces filles font passer le mot à leurs camarades.
Priyanka Kumari, mobilisatrice en santé communautaire dans le Bihar
L’un de nos principaux programmes de formation professionnelle reste la formation de couturière qui implique, entre autres, l’apprentissage et la réalisation de serviettes en tissu : après une initiation à l’utilisation de la machine à coudre, les femmes apprennent à fabriquer leurs propres serviettes réutilisables. Une séance est également consacrée à l’utilisation de ces serviettes pour s’assurer qu’elles seront correctement lavées. Grâce à cette formation, de nombreuses femmes trouvent un emploi dans la couture ou créent leur propre entreprise. Le programme a permis de former 63 femmes à la couture. C’est une opportunité pour transférer les connaissances aux femmes et les rendre autonomes grâce à la formation technique. Au bout du compte, les femmes indiennes sont en mesure de gérer leurs règles de manière indépendante, écologique et gratuite.
Baby Devi est l’une de nos formatrices en confection et couture. Elle nous confie : ” Je travaille ici depuis 2 ans et enseigne aux jeunes filles et aux femmes l’art de la couture. Les femmes ne sont en rien inférieures aux hommes. Certaines gagnent de l’argent en cousant des serviettes en tissu. D’autres utilisent les connaissances que j’enseigne pour lancer leur propre entreprise de couture. Je veux juste faire passer le message que chaque femme devrait pouvoir devenir financièrement indépendante si elle le souhaite.”
L’année dernière, Sunita a suivi une formation de Karuna. Elle a appris la couture mais aussi la teinture et l’informatique. Depuis que la crise du Covid-19 a éclaté, elle est employée par Karuna pour fabriquer des serviettes en tissu. Elle s’exprime sur l’importance d’apprendre un métier : “Maintenant, je fabrique des serviettes en tissu pour les bénéficiaires de Karuna et j’utilise l’argent que je gagne pour soutenir financièrement ma famille. Je pense que c’est essentiel pour les filles d’apprendre un métier : c’est le seul moyen d’être autonome.”
Karuna s’engage à aider les femmes et les jeunes filles à surmonter les tabous des règles. Soutenir nos actions, c’est leur donner confiance en elles et répondre à leurs besoins.