Léonore est bénévole chez Karuna depuis 2020. Elle rejoint l’association à 20 ans, depuis Grenoble où elle étudie, et prend part aux activités de plaidoyer. Elle nous partage son expérience et ses réflexions, illustrées par ses propres photos.

Que fais-tu au sein de Karuna ?

Les missions ont évolué au fil du temps, même si ça a toujours été dans le plaidoyer : synthétiser les table-rondes, retranscrire des vidéos, écrire des brouillons d’éditos, que Matthieu retravaille, réfléchir aux structures et premières versions des billets du blog de Matthieu Ricard. Et puis, participer aux réunions, une personne en plus, c’est toujours des idées en plus.

Comment as-tu découvert Karuna ?

J’ai connu par l’intermédiaire des livres de Matthieu Ricard. On en parlait à la maison. Mes parents évoquaient souvent les œuvres de Yahne Le Toumelin. J’aimais parcourir les livres photos de Matthieu et plus tard, lire ses livres… J’étais bénévole secouriste à la Croix-Rouge pendant plusieurs années, puis je me suis engagée auprès de Karuna dans la continuité.

Ce qui me touche à Karuna, c’est la conviction que l’altruisme est un remède, qu’il contribue à réduire certaines souffrances. C’est à la fois la source et le moteur de l’organisme vivant, c’est sa raison d’être, la force motrice. On imagine souvent le bénévolat dans les associations humanitaires comme une « mission » un peu messianique à l’étranger, sur le « terrain ». Là c’est extrêmement humble, il s’agit de contribuer à ma petite échelle en pouvant continuer mon cursus académique à côté. Ainsi, j’ai une action qui touche à la fois les missions sur le terrain mais qui répond aussi à un besoin, aux souffrances plus locales. C’est le sens du plaidoyer pour moi. 

Qu’est-ce que t’apporte Karuna ?

Wow. Tellement… J’ai l’impression que Karuna m’apporte plus que ce que j’apporte à Karuna. De voir au cours des semaines, des mois, des années, leur évolution, le développement des projets, en Inde, au Népal, en France, c’est tellement encourageant. Il suffit de regarder autour de nous pour désespérer du siècle et se sentir parfois impuissant face aux enjeux environnementaux, sociaux, politiques et économiques. Et c’est normal. Normal de se sentir dépassé, individuellement et parfois collectivement. Karuna est un soutien. La structure de l’organisation, qui s’apparente d’ailleurs plus un organisme vivant qu’à une structure bétonnée dont les principes seraient fossilisés, permet précisément d’être aux rendez-vous de ces enjeux en conjuguant des principes et pratiques. 

Je dirais qu’à la fois ça m’apporte la possibilité de contribuer à ma petite échelle, à un projet plus grand au sein d’une organisation. Et puis le gain positif de l’altruisme : j’ai une joie à avoir une action altruiste. Les petites missions ça m’apporte en réflexivité, c’est souvent de l’écriture, il faut faire des recherches, réfléchir, c’est assez complémentaire du travail de recherche académique et de mes intérêts de manière plus globale. Le fonctionnement de Karuna est particulièrement inspirant. Très en lien avec la théorie de l’altruisme efficace développée par Peter Singer. Il s’agit de s’interroger rationnellement et objectivement sur la manière d’utiliser les moyens à disposition afin d’effectuer le maximum de bien possible, avec le temps et l’énergie qui sont impartis.  

Et puis Karuna, c’est une famille un peu organique, ce qui est géant c’est que c’est un espace où j’évolue en tant que personne. Depuis que je suis arrivée, à 20 ans, Karuna a contribué à la personne que je suis actuellement, c’est un espace d’échange, d’écoute. Une réserve un peu aussi : comme on a besoin de carburant dans une voiture, de jambes pour faire du vélo, Karuna est une station à conscience et une station à espoir.

Karuna est une ONG qui veille autant aux bénéficiaires qu’aux membres de son organisme en grande intelligence. En fait elle conjugue le rationnel (s’adapter aux problèmes par l’étude et les discussions), l’émotionnel (reconnaissance des besoins et émotions), le collectif (développement des liens, cartes valeurs), et l’organisationnel (altruisme efficace, direction commune). 

L’écoute et les valeurs sont fondamentales pour tous. C’est particulièrement inspirant au sein d’une ONG. Les tensions sont considérées comme une opportunité de progresser, tout est mis en place pour que l’on puisse parler en vulnérabilité, c’est un aspect peu visible de Karuna mais qui me semble fondamental et inspirant. 

Au vu de l’état de dégradation politique, environnementale et sociale, ça donne une vision d’une action collective avec des conséquences positives. C’est une bouffée d’air : c’est possible, il faut continuer, ne pas lâcher. Il y a de quoi continuer. Ce n’est pas pour créer demain, c’est pour créer maintenant, ensemble. Et justement, dans Karuna, l’action est là, dans des créations responsables, durables et altruistes.

Léonore est une étudiante passionnée, qui s’est créé un parcours académique alliant des matières très diverses, mais selon un objectif cohérent. Les conversations avec elles sont toujours très intéressantes, ponctuées d’idées profondes et de références philosophiques, littéraires et scientifiques.

J’ai fait une classe préparatoire khâgne ULM en spécialité philo, grec ancien puis je me suis spécialisée en philo de la cognition en double diplôme avec l’école de management de Grenoble – que j’ai quittée cette année dans une recherche de cohérence. À côté, j’étudie le sanskrit en diplôme universitaire de langue et culture indienne classique. 

Ce qui est intéressant dans les humanités médicales, c’est l’approche biopsychosociale et intégrative : on envisage les maladies dans des systèmes holistiques, en ne réduisant pas les pathologies des être vivants à leurs propriétés purement physiologiques. On commence à parler de conception intra-utérine, du cumul des facteurs environnementaux qui impactent la santé, comme les facteurs sociaux. Ça rentre aussi dans la logique du One Health, ou santé globale, qui combine santé humaine, animale et environnementale.

L’idée est qu’on ne peut espérer un corps sain dans un monde malade, et qu’il faut prendre soin de l’écosystème pour que les patients et la société soient en bonne santé.

Te sens-tu éco-anxieuse ?

Je ne dirais pas que c’est pathologique, je ne verse pas dans l’angoisse ni les crises de panique, mais j’ai un sentiment de très forte préoccupation. Étant particulièrement sensible au milieu montagnard – j’ai choisi d’y rester pour mes études – je vois de manière flagrante l’impact qu’a le contexte environnemental sur les paysages naturels, et c’est extrêmement préoccupant.

Ceci-dit, je pense qu’il est important de conserver la dimension d’émerveillement pour agir. En tout cas, mon moteur d’action c’est de savoir qu’il y a pleins de possibilités d’émerveillement, plutôt que d’être paralysée par une angoisse de voir les écosystèmes détruits. C’est une question de dimension narrative personnelle. J’adapte mes choix à ce contexte, par exemple rien qu’avec les modes de transports. 

Ce sont des choix qui sont parfois contraints, mais c’est une contrainte salvatrice. C’est en transformant des petites choses que l’on vit des expériences qu’on n’aurait pas pu vivre autrement, tout en inscrivant nos modes de vie dans une durabilité saine. Certes, sur le moment, on se dit que ça serait plus simple de prendre tel transport pour aller de A à B, parce que le paradigme dans lequel on a grandi c’est que la simplicité c’est la rapidité. Il faut remettre en question nos cadres de pensée pour qu’adopter les choix durables fasse sens.

Ce qui est frustrant, c’est d’avoir cet engagement personnel et d’être plongé avec des pairs, des proches qui adoptent le même comportement, on est en résonance mais ce ne sont que des cercles, des bulles informationnelles. A une échelle plus globale, il y a un grand écart entre pratiques personnelles et collectives. La détérioration va quand même très, très vite, et un plus haut niveau d’engagement est nécessaire.

Camus, en préface d’un livre de Giono dit : « Aucune révolution n’est possible si elle n’a pas commencé dans le cœur et l’esprit ». Je pense que c’est ça : c’est important d’avoir soi-même ces pratiques, de les sédimenter puis les propager à notre petite échelle, par l’échange.

La sobriété heureuse est-elle une solution selon toi ?

C’est sûr que c’est quelque chose vers lequel j’aimerais tendre, en l’adaptant à mon contexte étudiant actuel. Cependant, pour le futur, ça ferait sens pour mon autonomie personnelle. J’essaye de mener ma vie, de faire mes choix en allant vers ce qui fait sens, ce qui résonne. Ce n’est pas toujours en accord avec le sens où tout le monde va, ou les tendances du moment, ni même ce qui est le plus facile. Par exemple, j’aimerais avoir la possibilité d’être autonome en énergie, de participer à des jardins partagés, à des communautés. De toutes manières, il faut être lucide, être autonome en énergie et en nourriture, si on a un travail à côté, c’est impossible sans communauté.

L’intergénérationnalité est aussi une dimension importante de ce futur. Il faut envisager les modèles sur le plan horizontal, avoir sa propre pratique d’entraide et de bienveillance dans les cercles familiaux, de pairs, et entre les générations.

Est-ce que tu pratiques la méditation ?

En fait, je suis prof de yoga, donc la pratique passe souvent par ce biais pour moi. Quand le covid a commencé, j’ai créé une petite plateforme pour proposer des cours de renforcement musculaire/étirements bénévoles aux autres étudiants de la prépa. Ça a bien marché, c’était à prix libre, on s’est créé des rituels, on faisait plusieurs séances par semaine. J’ai suivi une formation puis ai été certifiée entre 2020 et 2021. 

Qu’est-ce qui a motivé cette initiative ?

Le yoga est souvent réservé à des personnes qui peuvent se le permettre. L’idée c’était de le faire sur participation libre, à hauteur de ce que chacun veut donner. Ca permettait d’ouvrir la pratique à des personnes qui n’en auraient pas eu la possibilité sinon.

Le but n’était pas du tout d’en vivre, donc je n’en ai pas fait la promotion. Il y a des personnes dont c’est le travail justement, donc je voulais rester à ma place, ne pas faire de concurrence déloyale. Ça s’est fait par le bouche-à-oreille. Les personnes qui suivaient les sessions de renforcement musculaire MinuteSport en khâgne ont constitué la classe de Yoga, qui restait flexible, vu qu’il n’y avait pas d’engagement financier.

Est-ce que tu continues ?

Cette année j’ai arrêté, parce que je me suis blessée. Mais outre la blessure, j’aimerais envisager les cours sous d’autres formes, de manière qualitative. Le fait que ce soit en ligne, c’est assez pesant.

Et puis en ce moment, je pense que je ne suis pas dans un état approprié. Ce serait paradoxal de proposer un cours de relaxation alors que la prof est méga stressée : c’était pas le bon moment alors je ne l’ai pas fait, il faut savoir être en cohérence.

Tu as d’autres projets personnels comme ça ?

Oui… Je suis en cours de création d’une association depuis plusieurs années, Palimpseste, pour aller lire avec les enfants hospitalisés ou en soins palliatifs de manière bénévole. Le processus est ardu mais le projet est toujours en cours. J’ai aussi créé une entreprise pendant mes études, avec un associé : In-B.Outdoor, c’était une marque de textiles et d’accessoires Outdoor éco-responsable. Enfin, j’ai commencé à organiser une compétition de nage hivernale en eau libre, Givr. Ça ne s’est pas fait à cause du covid. J’avais fait les démarches pour être étudiante entrepreneuse, et candidaté à un incubateur, mais les manifestations sportives n’étaient pas vraiment prioritaires à ce moment-là. Mais c’est toujours là, comme Palimpseste.

Parfois, ce n’est pas le travail ou la motivation qui manquent, il faut attendre, et ça se fait avec le temps. Il manque simplement une pièce du puzzle. Je suis confiante. C’est un peu le sens de la vie : il nous arrive ou ne nous arrive pas certaines choses, et on peut s’en étonner sur le moment puis ensuite ça fait sens. Ça ouvre des opportunités.

Pour en revenir à la méditation, quel rôle a la pratique dans ta vie ?

Je pratique la méditation, au sens de se poser et méditer de manière très régulière depuis assez peu longtemps. Je pense que là aussi, il faut laisser le temps à la pratique de se sédimenter, à la douce discipline de s’installer et de se ritualiser . Il y a des périodes de vie plus ou moins longues où on arrête totalement, d’autres où c’est plus propice.

J’ai commencé jeune mais ma pratique a été très sporadique, puis ça a grandi et ça a pris de plus en plus de place. Mais c’est une place qui fait du bien, et c’est aussi une ascèse, une auto-discipline positive, qui est nécessaire à l’existence, même si ce n’est pas très à la mode actuellement.  

Maintenant, je médite assez régulièrement, tous les jours, tous les deux-trois jours, parfois des pratiques guidées, parfois seule, ou avec de la musique. Je l’envisage de manière assez souple : je me pose un moment et je laisse mon esprit se poser aussi.

Mais je pratique aussi la pleine conscience dans mon quotidien. Toute forme d’activité peut avoir une part de méditation. Par exemple, la marche, surtout dans la nature : on peut avoir une démarche méditative, au sens bénéfique, c’est tout le sens de la thérapie japonaise shinrin-yoku, le bain de forêt. Le sport en général, je suis dans l’instant, que ce soit pour me dépasser ou pour justement contrebalancer la tendance à la performance. 

On revient à la question du récit et du sens : quel récit met-on derrière la performance, pourquoi fait-on du sport ? Ça apporte non plus une réflexion, mais un état d’être, c’est plus de l’ordre de l’intuition que de l’intellection. Ça devient un cadre modulable et modulaire : à la fois adaptable aux situations, mais qui permet de nous adapter nous-mêmes.

Tu parles des bienfaits de l’ascèse. Mais qu’est-ce qui t’éclate dans la vie ?

La montagne, lire, rigoler et profiter de l’amitié. Certes, j’ai le sentiment d’avoir conscience d’une situation extrêmement critique, mais je conserve une part de joie à l’intérieur. Tout est impermanent.

L’idée n’est pas de se laisser aller, mais de donner à chaque minute son importance, et de rentrer dans une démarche écologique au sens de l’existence, c’est-à-dire qu’on n’a pas besoin de grandiloquence pour profiter. On peut récupérer des moments de joie par-ci, par-là, même s’il y a des moments difficiles. Profiter à fond et se dire qu’on est là. T’as les pieds sur terre mais le cœur disposé à l’Univers au sens créateur du terme. 

Est-ce que tu es heureuse ?

C’est difficile de répondre à cette question, il faudrait définir ce qu’est le bonheur. Il y a des moments de très grande joie, évidemment, mais est-ce qu’être heureuse ça sous-entend un fondement un peu existentiel, un état latent ? Si oui, alors ce n’est pas le cas, il y a un tiraillement intérieur qui l’empêche. Fondamentalement, il y a une mélancolie

De toutes manières, il y a tellement d’inégalités, d’états de souffrance… Il y a un degré de résonance humaine où on ne peut être dans un état de bonheur absolu. Être enfermé dans son bonheur alors qu’à côté, il y a une souffrance extrême… Il ne s’agit pas de pâtir de l’empathie, mais en étant lucides, on perçoit factuellement certains évènements. Ça évolue aussi avec la vie, les évènements qui arrivent.

Est-ce qu’étudier la philosophie t’a aidée dans tes questionnements personnels ?

L’opportunité d’avoir l’espace pour réfléchir et apprendre le cadre de pensées qui permet la dialectique de l’esprit. Ça aide à porter un regard, à interpréter. On fait le reproche à la philosophie d’être uniquement dans la contemplation. Mais la philosophie, c’est de l’être et du faire, comme la méditation, il faut le faire pour l’être. Sauf que là, on reste dans le conceptuel, il manque la mise en pratique, l’approche clinique. Précisément, il y a une dimension thérapeutique et clinique de la philosophie. C’est plus que des concepts, c’est une manière de vivre, de percevoir. Concernant mes propres questions, ça les a reformulées, a changé des réponses, en a posé de nouvelles…

Un mot de la fin?

J’aimerais parler de la question de l’engagement. On peut tous et toutes s’engager à notre manière au quotidien. La qualité d’être qu’on nourrit au quotidien, la politesse du cœur et de l’esprit à l’égard des personnes que l’on croise. Ça peut sembler dérisoire, mais un sourire, une parole, un geste, une présence attentive, redonnent confiance et pallient certaines souffrances. 

Il y a une forme d’urgence, mais que cette urgence ne nous paralyse pas. Ça peut être s’engager pour ce qui nous tient à cœur, partir d’un sujet qui nous touche pour faire quelque chose. Ça peut être de manière locale. Par exemple, on peut être sensible à la cause animale. Ou si c’est le sport, on peut partir de là pour un engagement environnemental : agir pour des stations, des sentiers durables et respectueux. Partir de nos sensibilités pour se mettre en action.