Un traumatisme national
Le 25 avril 2015, un séisme de magnitude 7,8 frappait le Népal. Deux semaines plus tard, une réplique importante de magnitude 7,3 survenait. Dans les mois suivants, de nombreuses secousses secondaires, bien que de moindre intensité, ont continué à ébranler les régions touchées : certaines ont causé de nouveaux dégâts, d’autres ont achevé de détruire ce que les premières secousses avaient fragilisé. Touchant à l’époque près de 8 millions de personnes et 39 districts sur 75, ce séisme a laissé une trace indélébile dans le pays Himalayen.
Ce désastre a laissé dans son sillage de nombreuses pertes humaines et matérielles : 8 773 personnes décédées, 23 304 blessés et près de 2,8 millions de personnes déplacées. Plus de 785 000 habitations, 446 établissements de santé détruits et 765 partiellement endommagés, ainsi que des infrastructures éducatives et culturelles lourdement affectées témoignent d’un paysage meurtri par la violence de la nature.



Des conséquences multidimensionnelles
En plus d’avoir causé de nombreuses pertes humaines, le séisme a profondément ébranlé l’économie et l’environnement du Népal. Les dégâts ont ainsi été évalués à 7 milliards de dollars, représentant environ 33 % du PIB en 2015.
Dans le secteur agricole, l’impact se mesure également en chiffres poignants. La perte de 135 200 tonnes de nourriture s’ajoute à la disparition de 560 000 animaux, majoritairement des volailles, représentant près de 284 millions de dollars. Ces pertes ont précipité plus d’un demi-million de personnes sous le seuil de pauvreté, marquant une rupture brutale dans les moyens de subsistance traditionnels.
Parallèlement, les séismes et leurs répliques ont significativement modifié les lits de divers cours d’eau du Népal. De ce fait, les réseaux hydriques ont été lourdement endommagés, entraînant à court et moyen terme de nombreuses difficultés d’accès à l’eau.
Face à l’urgence, la compassion mise en mouvement
Dès les premières heures qui ont suivi le séisme, Karuna-Shechen s’est mobilisée avec une grande réactivité pour répondre à l’urgence humanitaire. Une aide exceptionnelle a été déployée dans 15 districts parmi les plus touchés, couvrant des besoins essentiels : cliniques mobiles, distribution de nourriture, d’abris temporaires et de couvertures. Face à l’ampleur des besoins, les activités post-séisme ont rapidement été étendues à plus de 58 villages, marquant une présence durable aux côtés des communautés sinistrées.

Pour mener cette action, Karuna-Shechen a pu compter sur une collaboration étroite avec des ONG locales. Birendra Kumar Singh, responsable administratif de la clinique à l’époque, se rappelle : « Karuna-Shechen a collaboré avec deux autres organisations lors de la réponse, ce qui était crucial compte tenu de nos ressources humaines limitées à l’époque. L’une était INHURED International, qui nous a aidés dans la distribution des matériels de secours. L’autre était LOOKS Nepal, qui a servi de partenaire de mise en œuvre pour Karuna-Shechen, notamment dans la reconstruction scolaire et les initiatives éducatives associées. »
Malgré cet engagement sans relâche, l’action sur le terrain a été entravée par une logistique chaotique, des tensions sociales accrues et des glissements de terrain qui isolaient des communautés entières. Le contrôle des foules, déjà délicat, devenait parfois impossible, tandis que l’augmentation constante des coûts de transport rendait chaque acheminement plus compliqué. À cela s’ajoutait l’état précaire des routes, souvent impraticables, qui ralentissait voire empêchait l’acheminement de l’aide d’urgence et post-urgence. Dans cette instabilité, les répliques successives maintenaient un climat d’urgence et de peur qui pesait sur chaque geste solidaire.

En dépit de ces difficultés, la compassion est restée le fil conducteur. Bimshen Raut Chetri, chauffeur chez Karuna depuis 2013 partage.

Ce fut une expérience chargée d’émotions. Même si j’avais ma propre famille à laquelle penser, j’ai continué à travailler pendant ces jours difficiles. Pouvoir aider autrui en des temps aussi dévastateurs m’a rendu plus fort et plus courageux, et m’a donné un véritable sens à ma vie.
Bishmen Raut Chetri
L’éducation et la santé en priorité
L’éducation et la santé ont été au cœur de notre action. Karuna-Shechen a reconstruit dix écoles dans douze districts avec des structures préfabriquées résistantes aux secousses. Comme l’explique Birendra, « Dans de nombreuses zones, les écoles avaient été totalement détruites. Les enfants étudiaient en plein air, exposés aux éléments. » Le retour à l’école a offert aux enfants stabilité, lien social et normalité essentiels à leur équilibre.
Sur le plan sanitaire, des campagnes médicales, un soutien aux femmes enceintes et des distributions de médicaments ont comblé les besoins urgents.
Notre soutien médical opportun a amélioré de manière significative la santé maternelle et générale dans de nombreuses zones reculées.
Birendra, responsable administratif de la clinique Shechen



Enfin, l’ampleur du traumatisme psychologique, notamment en zones rurales dépourvues de soutien en santé mentale, a confirmé l’importance d’une approche intégrée et humaniste de la reconstruction.
Après l’urgence, Karuna-Shechen a inscrit son action durablement, consciente que la véritable reconstruction ne se limitait pas aux murs rebâtis, mais s’enracinait dans la cohésion sociale, l’accès aux droits fondamentaux et l’autonomie des populations.
À l’époque consultant pour Karuna, Sébastien est aujourd’hui le Directeur de la communication et du fundraising.

« En 2015, Karuna c’était plusieurs groupes indépendants de bénévoles dans les différentes branches, hormis les équipes salariées en Inde et au Népal. Le tremblement de terre au Népal a été un véritable choc, et c’était la première fois que l’association faisait face à une urgence. Ce qui a été incroyable, c’était que tous les membres de Karuna ont alors œuvré tous ensemble, portés par l’élan de générosité qui a suivi l’appel de Matthieu. En seulement deux mois, nous avons récolté l’équivalent de toute une année de dons. Karuna a été en capacité de déployer un plan ambitieux de post-urgence de trois ans grâce à tous ces dons. Tous ces accomplissements et la notoriété accrue nous ont donné l’envie et les moyens de pérenniser notre travail, de structurer les équipes et de professionnaliser l’association. Deux ans après, nous nous sommes dotés d’une nouvelle gouvernance avec l’élection d’un président et la nomination d’un directeur exécutif, et le siège de l’organisation s’est établi en France. Personnellement, cette période m’a marqué, non seulement sur le plan émotionnel, mais aussi professionnellement. »
Quelles leçons et défis aujourd’hui ?
Des difficultés persistantes
Dix ans après le séisme, le Népal demeure confronté à des défis structurels majeurs. La catastrophe a mis en lumière l’absence de plans de préparation aux catastrophes, l’inefficacité de certaines aides publiques ou internationales, et des inégalités sociales endémiques.
Les communautés marginalisées, notamment les Dalits et les groupes autochtones, ont été particulièrement touchées : moins de la moitié d’entre elles a reçu l’intégralité des subventions de reconstruction en 20221. De nombreuses zones rurales restent également en attente de reconstruction, et le logement, l’équité sociale et la préservation de l’environnement comptent parmi les chantiers toujours inachevés.
Sur le terrain, Karuna‑Shechen a pu constater que, là où elle intervient, les infrastructures essentielles – écoles, centres de santé ou réseaux d’eau – subsistent sous forme d’installations temporaires devenues durables faute de suivi. Cette carence compromet la résilience des communautés et freine tout retour à une vie normale. Ce constat se vérifie notamment dans de nombreuses écoles reconstruites dans l’urgence : elles sont restées en l’état, sans fondations pérennes ni accès fiable à l’eau.
Construire dans le temps long
Comme le souligne Bimshen, « Même après que la réponse d’urgence eut disparu de la mémoire collective, Karuna-Shechen a poursuivi son soutien. Nous n’avons jamais cessé. Le soutien de Karuna-Shechen aux communautés pauvres et marginalisées durant une période de crise profonde a constitué sa plus grande contribution. » Cette fidélité à l’engagement s’est incarnée dans des projets concrets et durables, bien au-delà de l’aide immédiate.
Les équipes de Karuna ont ainsi mis en œuvre des projets visant à renforcer la résilience des communautés face aux séismes. Par exemple, dans la vallée de Ruby, l’école de Kharsa, construite en collaboration avec des architectes français et des artisans locaux dès 2021, est une structure parasismique adaptée aux conditions climatiques de la région. Elle offre un environnement d’apprentissage sûr et stimulant pour les enfants, tout en impliquant activement la communauté dans sa conception et sa réalisation. L’école de Kharsa illustre ainsi une volonté de bâtir dans la durée.



De même, à Khaniyabas et dans nos autres lieux d’intervention, Karuna-Shechen a équipé plusieurs établissements d’un système d’approvisionnement en eau potable, qui en avaient été privés depuis les tremblements de terre de 2015. Là encore, il s’agissait de répondre à une carence structurelle laissée sans réponse pérenne après la crise.
Rebâtir l’espérance, cultiver la résilience
Depuis 2022, à l’échelle nationale, 90% des habitations détruites lors du séisme ont été reconstruites, ainsi que plus de 7000 écoles et 1200 établissements de santé. Par ailleurs, le retour des voyageurs internationaux, renouant avec la richesse culturelle du Népal, témoigne de la confiance et de la solidarité retrouvées.
Portés par une vision profondément humaniste, Karuna-Shechen est honoré de contribuer à son échelle à la reconstruction d’un pays si culturellement riche, et d’accompagner ses communautés rurales vers un avenir plus résilient et solidaire.
Nous adressons une chaleureuse pensée à toutes les personnes, touchées de près comme de loin par ces séismes ; leur force et leur résilience continuent de guider chacun de nos pas.
Participez vous aussi à cet élan de solidarité durable
- Amnesty International, 2022, Equity in Recovery: Nepal’s Unfinished Agenda.
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