S’inspirer, s’entraîner, s’engager : tel est le triptyque proposé par Karuna-Shechen pour cultiver notre potentiel altruiste. 

Nous avons tous et toutes des tendances personnelles à privilégier un ou plusieurs aspects de ce trio, selon notre sensibilité ou nos perceptions d’importance. 

Cependant, le triptyque fonctionne comme un tout. Nous vous encourageons à passer du temps à cultiver chacun des piliers, car quel que soit celui que l’on néglige, cela crée un déséquilibre, pouvant mener à la non-action, à la détresse empathique ou au manque de sens. 

L’importance de s’engager 

S’inspirer et s’entraîner permet de se sentir enthousiaste, porté par des idées, et d’aborder la vie avec plus de recul et de sérénité. Cependant, là ne s’arrête pas le chemin. La finalité de la méditation et de l’inspiration n’est pas le développement personnel per se. Il ne s’agit pas de comprendre les causes de la souffrance dans son coin et de s’en libérer pour vivre une vie sereine dans l’entre-soi. Sans engagement, l’inspiration et l’entraînement ne servent qu’à nourrir l’égo, dans une dynamique centrée autour de soi-même qui est à l’opposé de ce qu’est la méditation. 

En effet, l’objectif de la méditation est de se libérer pour mieux contribuer au monde. La connaissance de soi n’est pas le but en soi, il s’agit d’un moyen. 

L’importance de se transformer soi-même pour mieux se mettre au service d’autrui et contribuer à un monde meilleur.

Matthieu Ricard

Développer ses qualités d’intelligence émotionnelle doit servir à se rendre compte de la souffrance que l’on se cause à soi-même et, en interdépendance, de celle que l’on cause autour de soi. La première étape de l’engagement est de cesser de faire souffrir les personnes avec lesquelles nous sommes en relation. 

Avant de vouloir aider les gens, commence déjà par arrêter de les faire souffrir.

P. Rinpoché

Il ne s’agit pas de se donner pour mission de sauver le monde, ni d’accomplir des actes glorieux de générosité, qui trouveraient leur place dans les médias. Il s’agit d’incarner l’altruisme au quotidien avec présence, de cultiver ses qualités humaines dans ses relations, interactions et choix de tous les jours. Si l’engagement nous semble inaccessible c’est que l’on se fixe des objectifs en se fondant sur l’exceptionnalité des modèles d’engagement : en réalité, nous vous proposons simplement de mettre la pleine conscience au profit du bien-être collectif, en tournant votre compassion vers toutes les personnes qui vous entourent, en étant dans le partage et l’écoute bienveillante, autant que possible. 

Cette forme d’engagement n’en reste pas moins difficile. Elle coûte des efforts, réguliers, et sans forcément de retours. Il est parfois plus ardu de compatir avec un voisin en colère, un ami en difficulté ou une personne qui dort devant notre porte qu’avec des personnes vivant dans la pauvreté ou la guerre loin de chez nous. Pourtant, nous pouvons étendre notre compassion à tous et toutes, et agir là où nous le pouvons au quotidien : un sourire, une main tendue, une lueur de patience supplémentaire. 

La meilleure manière de se connecter à quelqu’un est de l’écouter. Simplement d’écouter. Peut-être que la plus belle chose que l’on peut s’apporter est notre attention. Un silence aimant a beaucoup plus de pouvoir pour guérir et connecter que les mots les mieux intentionnés.

Rachel Naomi Remen

L’importance de s’entraîner

En effet, si l’on se contente de s’inspirer et s’engager, le risque est de tomber dans la détresse empathique. Cette dernière survient lorsqu’une personne est submergée par les émotions des personnes autour d’elle, leurs souffrances, leur stress et leurs difficultés. La détresse des autres vient se confondre avec la sienne.

L’engagement est extrêmement important, mais notre souhait de promouvoir l’entraînement de l’esprit n’est pas sans raison. La pratique de la méditation permet d’accéder à des ressources intérieures qui favorisent l’engagement et l’inspiration. 

La détresse empathique peut considérablement influencer la vie quotidienne, avec des effets qui se manifestent de diverses manières. Elle peut entraîner un épuisement émotionnel important, laissant les individus vidé d’énergie et incapables de gérer leurs propres émotions ou de répondre aux exigences courantes. De plus, elle peut augmenter le risque de burn-out, compromettant la capacité à fonctionner normalement au travail ou dans la vie privée. Les relations interpersonnelles peuvent devenir compliquées ce qui peut entraîner un isolement social et des difficultés à maintenir des liens significatifs. De plus, la concentration et la productivité peuvent être perturbées, et les besoins personnels négligés en raison de la préoccupation constante pour autrui. 

L’entraînement mental par le biais de la pleine conscience est un outil efficace pour préserver son intégrité. En effet, comprendre les schémas mentaux et apprivoiser les outils d’intelligence émotionnelle pour entrer en relation sincère avec notre corps est ce qui permet à la fois de se mettre en mouvement et de ne pas se brûler dans l’action. La méditation, cultivant notre compassion, nous permet de regarder vers l’extérieur et de souhaiter sincèrement agir pour autrui. Elle nous guide aussi pour nous écouter, et savoir poser nos limites, prendre du temps pour nous, définir ce qui est juste ou non à l’instant donné. 

Trouver l’équilibre entre prendre soin de soi et prendre soin des autres.

Programme Résilience

La pratique de la pleine conscience nous réunit avec nos sensations corporelles, et nous permet d’apprendre, de réapprendre à identifier nos émotions grâce à nos sensations. L’entraînement permet que ce lien entre sensations et émotions soit nourri et renforcé, menant à l’intelligence émotionnelle : mon corps me dit ce que je ressens, et non plus mon intellect, et à partir de ces informations je peux me positionner par rapport aux situations, et aux personnes qui m’entourent. Plus nous avons conscience de ce lien et nous le pratiquons au quotidien, et plus nos relations à nous-mêmes, à nos émotions et aux autres sont justes. L’engagement le devient également, car nous sommes guidés par notre ressenti, et celles-ci ne mentent pas. 

L’entraînement permet de passer de l’empathie à la compassion : ainsi, plutôt que de se mettre “à la place” d’un interlocuteur en détresse, et d’être submergé par ses émotions, nous l’écoutons avec bienveillance en offrant notre aide. Cela signifie aussi que l’on passe d’un souhait d’aider l’autre pour faire cesser notre propre souffrance en miroir, à un geste dénué d’écho personnel. Nous sommes également plus à même d’écouter réellement les besoins qu’exprime la personne, plutôt que de supposer ce que nous pouvons lui apporter à partir des émotions que nous croyons partager. La contagion émotionnelle n’ayant plus lieu, nous pouvons parfois accepter que nous ne pouvons rien faire d’autre que d’être présent pour soulager et accompagner la souffrance et non la résoudre. 

Si vous voulez que les autres soient heureux, pratiquez la compassion. Si vous voulez être heureux, pratiquez la compassion.

 Le Dalai Lama

L’action devient à la fois accessible, supportable et efficace lorsque l’on a une relation lucide à nos propres sentiments et réactions et que l’on est capable de reconnaître là où commencent celles des autres, et d’écouter avec un esprit ouvert. 

L’entraînement, en révélant nos mécanismes de pensée, permet aussi de cultiver l’inspiration. Par exemple, méditer pourrait nous faire prendre conscience d’une tendance à la colère face aux injustices, ou à avoir peur de l’avenir. Nous pouvons ensuite nous servir de ces informations pour nous inspirer et nous mettre en action, par exemple en sublimant notre indignation en moteur d’engagement, ou en recherchant des contenus mettant en avant les alternatives à un avenir gris pour lesquelles nous pouvons nous mobiliser. 

L’importance de s’inspirer

A être toujours dans l’action, soit dans l’exercice de l’esprit soit dans l’engagement et le service aux autres, nous pouvons perdre de vue la finalité de nos gestes. Nous avons besoin de sources d’inspiration, de personnes et d’actes qui nous motivent et créent en nous l’étincelle qui nous fera continuer. 

En effet, à faire des gestes et à s’entraîner sans motivation nous risquons de passer en pilote automatique, simplement par habitude, ou par sens du devoir. Mais l’action comme l’entraînement sont des joies guidées par l’inspiration. De plus, nos actions peuvent devenir obsolètes si nous ne les mettons pas à jour en les comparant régulièrement avec les actions des autres qui partagent nos intentions. Leurs idées et découvertes nous aident à élargir notre perspective, que nous décidions de les adopter ou non. S’inspirer permet de toujours replacer nos valeurs comme guides de nos choix, et de se rappeler de pourquoi nous agissons. Peut-être s’inspirer permet-il aussi de remettre parfois ces valeurs en question, et de se réajuster à nos propres changements intérieurs. Autrement, nous risquons de nous laisser enfermer dans notre propre monde déconnecté.

Cela revient d’une certaine manière à se recentrer sur soi, parfois, pour assurer un entraînement et un engagement durables. Prendre du temps pour se ressourcer, s’émerveiller ou s’informer n’est pas inutile,  ce ne sont pas des moments gâchés. C’est un terrain préparatoire essentiel aux deux autres aspects du triptyque que nous proposons. 

Il s’agit de s’ouvrir au monde, faire des rencontres, converser, lire, écouter, et accepter la joie, la colère, la tristesse, l’enthousiasme, ou tout autre sentiment qui nous est procuré par le monde qui nous entoure. 

La nature sauvage inspire l’émerveillement, l’émerveillement inspire le respect, parce qu’on respecte ce qui nous émerveille, on ne le détruit pas, on ne le dénature pas, et le respect amène le désir de “prendre soin de”.  

Matthieu Ricard

S’inspirer permet également de cultiver l’émerveillement, qui est l’une des motivations à l’action. Ainsi, nous proposons par exemple de nous engager pour l’environnement non pas “contre sa destruction” mais “pour la préservation de sa beauté”. C’est le fait d’avoir le souffle coupé par un paysage de montagne, par l’odeur d’une fleur ou par le geste de quelqu’un qui nous pousse à nous-même entreprendre notre propre plaidoyer. 


Le triptyque S’inspirer, S’entraîner, S’engager est donc bien un équilibre qui ne tient que si ses trois piliers sont nourris. Se reposer sur seulement deux des trois piliers, même si cela peut sembler plus facile, peut nous exposer au risque de la non-action, de la détresse empathique et de la perte de sens. Pour cultiver notre potentiel altruiste, nous pouvons donc considérer qu’il fait partie de notre développement que d’aller vers les piliers que nous avons pour habitude de délaisser. Aujourd’hui, alors que vous lisez ces lignes, vous pouvez déjà commencer à regarder avec bienveillance cet aspect qui fait défaut à votre équilibre, celui qui fait légèrement boiter votre potentiel altruiste. Commençons ensemble.