Rompre le silence autour des menstruations est essentiel pour promouvoir le bien-être et l’autonomisation des femmes et des filles. Le programme de sensibilisation à l’hygiène menstruelle de Karuna-Shechen vise à favoriser des pratiques durables, et encourage les femmes à se soigner lorsqu’elles rencontrent des problèmes de menstruation.
Deux membres de Karuna, Asifa, conseillère en santé au Bihar, et Nikita, coordinatrice des programmes au Darjeeling, ainsi que deux participantes, Kalpana et Jirhul, nous partagent leur expérience et point de vue.
Informer pour donner confiance
Asifa Khatun et Nikita Rai, qui travaillent pour Karuna en Inde, décrivent les enjeux et les efforts mobilisés pour sensibiliser les filles et femmes. Les formatrices de Karuna commencent par identifier les connaissances de base des participantes pour mieux comprendre leurs préjugés et croyances, et ainsi adapter les sessions à leurs besoins et questions. Les sessions en classe ciblent les filles à partir de 12 ans, les adultes volontaires, hommes et femmes, peuvent assister à des sessions dédiées.
À tout âge, la question de l’hygiène menstruelle est généralement accueillie avec une certaine retenue : « Au début des sessions, je vois généralement de la gêne chez les participantes, c’est pourquoi j’organise une première séance pour les mettre à l’aise en jouant à des jeux, les liant à la session de sensibilisation.» partage Nikita.
Asifa explique alors le déroulement des formations : « Nous commençons la session en nous présentant et en demandant aux filles de partager leur première histoire menstruelle. Pour éliminer toute hésitation, je commence habituellement par ma propre histoire. Cela ouvre la communication et garantit une session en confiance.»
Le programme s’axe principalement sur le cycle menstruel. Les formatrices prennent le temps d’expliquer l’impact qu’il a dans la vie et sur le corps des femmes. En tenant compte des conséquences du cycle, elles peuvent expliquer de manière plus détaillée les différentes façons de maintenir son hygiène pendant la période de menstruation. Chaque session s’accompagne d’une distribution de serviettes hygiéniques et de serviettes en tissus réutilisables.
Des mythes menstruels ancrés
Certains mythes sont profondément enracinés, mais nous présentons des raisonnements logiques et scientifiques pour y répondre sans remettre en cause les normes religieuses.
Asifa Khatun, conseillère en santé Karuna-Shechen à Bodhgaya
Les menstruations sont encore tabou dans beaucoup de sociétés. Le manque d’information ainsi que la honte qui peut naître sur ce sujet amène à des problèmes d’hygiène et de désinformation sur le corps des femmes. Les personnes menstruées font souvent l’objet d’un stigmate social comme le fait de ne pas être autorisées à participer aux pratiques religieuses ou s’asseoir avec les membres masculins de la famille.
Nikita met en avant l’objectif premier de ces formations de briser le silence qui existe autour des menstruations : «Je considère une session réussie lorsque les participantes commencent à poser des questions et à partager leur expérience. J’ai observé que les participants et participantes, en particulier les volontaires, y compris les volontaires masculins, ont pu parler des règles dans leur communauté grâce à cette sensibilisation, ce qui est une grande avancée dans des communautés où le sujet est tabou. Chaque personne en sort avec des idées plus claires sur le processus biologique des règles, et assimilent que cela n’a rien à voir avec l’impureté.»
Une participante, Kalpana Sardar, âgée de 24 ans et mère de quatre enfants, a partagé avec nos équipes les contraintes et les mythes qui entouraient les menstruations. Auparavant, elle et les autres femmes de son foyer avaient l’habitude de sécher leurs vêtements à l’intérieur de la maison, par honte et par peur de la magie noire. Si elles mettaient leurs vêtements à sécher au soleil, elles devaient les cacher avec des vêtements plus grands. Kalpana Sardar mentionne alors la stigmatisation et les pressions subies par les filles et femmes, par menace de magie noir pouvant leur nuire, et affecter leur capacité à concevoir des enfants. Dès son retour chez elle, Kalpana a partagé avec sa famille et ses voisins tout ce qu’elle a appris lors des sessions, le dialogue s’est ainsi ouvert grâce au programme de sensibilisation.
La communication est un enjeu primordial dans la vie des participantes. En partageant leurs expériences, elles réalisent qu’elles ne sont pas seules à ressentir des douleurs pendant leur cycle. Elles partagent leur solitude, et le manque d’informations sur les solutions possibles pour atténuer leur gêne. Lors des séances, les formatrices discutent alors des différentes méthodes pour soulager ces douleurs comme l’explique Afisa Khatun : « Nous discutons des remèdes maison, des poses de yoga, des besoins nutritionnels, ainsi que des différents mythes dans la communauté. Nous nous efforçons de rendre la session interactive, en répondant à chaque question.»
Ouvrir le dialogue
Au fil des sessions, Asifa note des retours positifs : « Initialement, les filles peuvent être réticentes à s’ouvrir lors de la première partie de la session. Cependant, à mesure qu’elles avancent, elles développent souvent de l’intérêt et peuvent même poser des questions sur le sujet. Certaines filles partagent qu’après les cours, elles discutent de ce qu’elles ont appris avec leurs parents en rentrant à la maison.»
Après chaque programme de sensibilisation, certaines participantes donnent leur avis. Beaucoup partagent qu’elles ont beaucoup appris sur la santé et l’hygiène menstruelle. Elles prennent conscience aussi de l’importance de transmettre leurs connaissances à leurs enfants
Nikita Rai, coordinatrice des programmes au Darjeeling
Un impact au-delà des sessions
Après trois mois de sessions, les équipes de Karuna-Shechen recueillent les retours, Asifa témoigne alors de l’impact positif de cette initiative : « Les adolescentes ont non seulement amélioré leurs pratiques, mais aussi partagé leurs expériences avec leurs entourage. Les séances déclenchent une réaction en chaîne positive, montrant l’impact de nos efforts.»
Jirhul Kumari, une étudiante de 17 ans, partage son expérience : « Nous avons acquis des connaissances précieuses lors des sessions. Auparavant, j’utilisais n’importe quel vieux tissu disponible pendant mes règles. Cependant, le fait d’apprendre les conséquences sur mon corps m’a amenée à passer aux serviettes hygiéniques fournies par la formatrice.»
J’ai apprécié la facilité avec laquelle nous pouvions discuter ouvertement de sujets qui ne sont généralement pas abordés.
Jirhul Kumari, participante
Quant à Kalpana Sardar, elle continue à appliquer les pratiques qu’elle a apprises lors des sessions. Elle encourage à son tour les membres de sa famille à maintenir une bonne hygiène menstruelle et à discuter des idées reçues et mythes entourant les menstruations.
Asifa Khatun note le changement suscité grâce à ce travail de sensibilisation : « Certaines participantes, en discutant avec leur familles, suscitent une prise de conscience au sein de leur communauté. Malgré les tabous de la société, cette expérience met en lumière le besoin crucial d’ouvrir le dialogue en matière d’éducation à l’hygiène menstruelle. J’éprouve une immense satisfaction à participer au mieux-être de la société.»
Les différentes expériences de ces femmes mettent en lumière l’importance du partage des connaissances. En surmontant le tabou des règles, Nikita Rai et Asifa Khatun permettent à Kalpana Sardar et Jirhul Kumari d’en faire de même au sein de leur communauté. Elles prennent le contrôle de leur corps en le comprenant un peu plus chaque jour.