Le 2 octobre 2019, tous les villages des 36 États et territoires de l’Inde ont été déclarés exempts de défécation en plein air (ODF). Cependant, les données récemment publiées de l’Enquête nationale sur la santé familiale (NFHS-5) montrent que parmi les 30 États enquêtés, aucun ne l’est dans les faits. Les résultats de l’enquête montrent que plus de 25% des ménages ruraux pratiquent la défécation en plein air. Dans des États tels que le Bihar et le Jharkhand, la part de ces ménages ruraux est supérieure à 40%

Répondre à un problème sanitaire

La dignité des personnes qui sont contraintes à se soulager en extérieur, sans intimité, est mise à mal. De plus, la défécation à l’air libre pose des problèmes divers, notamment sanitaires. Les maladies qui se transmettent par les déchets humains (diarrhée, choléra, dysenterie, typhoïde et autres infections parasitaires), peuvent être mortelles pour les personnes vulnérables et les enfants. Le rejet des déchets humains dans la nature est également un risque environnemental, car la défécation en plein air contamine sols et ressources en eau. 

Meena Munda a 36 ans, et elle habite dans le village de Hatnada, au Kharkhand. Elle nous raconte : « Karuna-Shechen nous a soutenus depuis le jour où nous avons commencé la construction, et nous espérons terminer la construction de nos toilettes ce mois-ci. Je suis heureuse que nous n’ayons plus à pratiquer la défécation en plein air. En tant que femmes, c’était inconfortable pour nous. Nous devions généralement attendre qu’il fasse nuit ou aller tôt le matin quand personne n’était aux alentours. C’était également difficile d’assouvir nos besoins, surtout pendant la saison des pluies. »

Cette pratique pèse aussi sur des enjeux sociaux tels que l’éducation. L’absence d’installations sanitaires dans les écoles est problématique et impacte particulièrement les filles et jeunes femmes : le manque de toilettes séparées et d’intimité entraîne leur abandon de l’école. Par ailleurs, les femmes sont également plus touchées par l’insécurité liée à l’obligation de s’isoler dans la nature à toute heure pour satisfaire leurs besoins d’hygiène. Elles subissent ainsi des violences sexuelles et du harcèlement. 

Nukkad Natak : un programme centré autour des comportements

L’objectif premier du programme est d’informer sur les enjeux sanitaires, sociaux et environnementaux de la défécation en plein air. Les sensibilisations encouragent les communautés à utiliser des toilettes, ou à en faire construire lorsqu’elles n’en ont pas à disposition ou fonctionnelles. Il y a donc une dimension de modification des comportements, et d’acceptabilité de ceux-ci. Dans la continuité de la logique des sensibilisations, Karuna-Shechen propose un soutien financier et technique à la construction de toilettes. 

La sensibilisation prend la forme de pièces de théâtre de rue, les Nukkad Natak. Les représentations ont commencé à la mi-mai et mettent l’accent sur trois points principaux : 

  • Sensibiliser les communautés des villages ruraux aux effets néfastes de la défécation en plein air. 
  • Lancer la conversation sur les problèmes liés à la défécation en plein air, en particulier pour les femmes et les personnes âgées. 
  • Sensibiliser à la manière dont Karuna-Shechen soutient et aide à la construction de toilettes au niveau des ménages.

« C’était un sketch merveilleux. Nous avons appris que la défécation à l’air libre peut causer de nombreux problèmes de santé, en particulier chez les enfants. Actuellement, nous n’avons pas de toilettes à la maison, et nous n’avons pas reçu de toilettes subventionnées par le gouvernement, donc je dois marcher assez loin à l’extérieur du village. Nous souhaitons voir davantage de pièces comme celle-ci à l’avenir afin d’être plus conscients et éduqués sur de telles questions », déclare Raimoni Mahato, âgé de 49 ans, du village de Herma.

« La pièce de théâtre était très divertissante. J’ai vraiment apprécié. Il est important d’avoir des toilettes fonctionnelles dans notre maison. La plupart des villageois ici en ont mais ne les utilisent pas. Je vais essayer de sensibiliser les autres à cette question », affirme Sima Mahato, 45 ans, du village de Barkatand. 

Grâce à ce Nukkad Natak, l’approche adoptée est plus globale, et tient compte des tabous sociaux. Les équipes de Karuna ont constaté que les gens sont influencés par le spectacle et s’intéressent à l’approche de l’association en matière de soutien à la construction de toilettes. Beaucoup se sont présentés et ont partagé leurs expériences et les problèmes auxquels ils sont confrontés lorsqu’ils vont à la selle en extérieur, en particulier les femmes.

« La pièce de théâtre était amusante. Nous n’avons pas de toilettes à la maison, donc aller dans les champs ouverts est notre seule option. À l’avenir, je voudrais certainement avoir des toilettes, mais en raison du coût de la construction, nous ne pouvons pas nous le permettre actuellement. Après avoir appris le soutien apporté par Karuna Shechen, nous essaierons certainement d’en construire une. Tous ceux qui viennent ici pour partager quelque chose de significatif avec nous me rendent heureux », déclare Mowgli Mahato, 48 ans, du village de Herma. 

Un modèle de construction participatif

Le programme de construction de toilettes de Karuna-Shechen prend la forme d’un soutien financier en vue d’un cofinancement des travaux, qui implique donc une forte participation communautaire : les personnes qui vont utiliser les structures installées en payent une partie, l’ossature, qui correspond à environ 50% des coûts. Karuna-Shechen installe le cadre, le système de drainage et toutes les autres petites fixations. Le design des toilettes tient compte des normes culturelles et sociales des utilisateurs finaux : porte fixée ou non, emplacement proche du foyer ou non.

Renuka Bhakat, 40 ans, explique : « Nous avons commencé la construction de notre toilette avec l’aide de Karuna-Shechen. Nous ressentions depuis longtemps le besoin d’en avoir une car faire nos besoins dans un champ ouvert est gênant et également dangereux. Les toilettes sont désormais une nécessité. Auparavant, nous ne pouvions pas en construire en raison de notre situation financière, mais maintenant, grâce au soutien de Karuna, nous espérons achever la construction en février.« 

Jusqu’à présent, quatre pièces de rue ont été réalisées, touchant 269 villageois et villageoises. De janvier à mai 2023, Karuna-Shechen a soutenu la construction de 1 259 toilettes, bénéficiant à environ 7 360 personnes, principalement dans des communautés rurales. L’objectif est d’atteindre encore davantage de communautés dans les villages ruraux dans les mois et années à venir. 

Sunita Gope du village de Dhirol, Jharkhand, se réjouit : « Nous avons enfin fait construire nos toilettes avec l’aide de Karuna-Shechen. Ma fille et moi sommes plus à l’aise et n’avons plus besoin d’aller dans le champ en plein air. Tous les membres de ma famille utilisent maintenant les toilettes. Nous nous relayons également pour nettoyer les toilettes car il est important de les maintenir propres. »

De nombreuses toilettes ont été construites en Inde, au cours des années, mais demeurent inutilisées. Cela peut être dû à l’absence de sensibilisation pour l’utilisation et l’entretien, ou à une dysfonctionnalité de l’infrastructure dûe au manque de concertation : ainsi des locaux trop bas, trop petits, trop étroits, situés au mauvais emplacement… Les toilettes sont transformées par les populations pour servir tout de même, devenant souvent des espaces de stockage.

Karuna-Shechen fonde ses projets sur la participation communautaire, en impliquant les personnes utilisatrices des structures dans la construction et le financement. Cela mène à des toilettes fonctionnelles, acceptées et utilisées. Le programme de construction de toilettes est donc un bon exemple, à la fois de la manière dont la relation partenariale peut se mettre en place entre les ménages et l’association, mais également de pourquoi elle est essentielle.

Soutenir la co-construction des toilettes en Inde