Au Népal, il existe une croyance prédominante selon laquelle ne pas poursuivre d’études supérieures conduit à une vie de travail agricole, souvent associée à la pauvreté. Cela a éveillé la curiosité de Sharmila Pun, diplômée en agriculture biologique et agroécologie de l’Université de Wageningen et du Centre de recherche Isara Lyon. Depuis août 2023, elle a rejoint les équipes de Karuna-Shechen au Népal en tant que responsable des programmes de sécurité alimentaire et de développement économique.
Sharmila s’interroge sur les raisons pour lesquelles les travailleurs agricoles sont paradoxalement ceux qui bénéficient le moins d’une sécurité alimentaire : « J’ai cherché à comprendre les relations complexes entre la nature, la communauté et la résilience alimentaire, attirée par le défi de contribuer de manière significative à un système complexe.»
Cette relation est incarnée par Mishra Khadka, agricultrice vivant à Solpathana dans le district de Sindhuli. Elle participe aux programmes de sécurité alimentaire de Karuna-Shechen depuis quelques années.
Aujourd’hui ces deux actrices témoignent du rapport qu’elles entretiennent en tant que femmes dans le monde agricole et les conceptions traditionnelles des métiers de l’agriculture. Leurs expériences, d’une part en tant que programmatrice et d’autre en tant qu’agricultrice, nous démontrent l’importance de l’inclusion des femmes pour garantir une sécurité alimentaire.
La modernité en soutien à la tradition
Comme l’explique Sharmila, « L’un des défis majeurs que je rencontre dans mon rôle est la nécessité de désapprendre. Cela implique de reconnaître et d’apprécier la valeur des compétences et des connaissances traditionnelles. Équilibrer celles-ci avec des solutions modernes devient essentiel.»
Pour Mishra, les techniques agricoles se transmettent de génération en génération, amenant parfois à des résultats infructueux et à un épuisement physique et moral : « Du lever au coucher du soleil, je travaille la terre, prenant soin des cultures qui nous nourrissent. Nous avions l’habitude de compter sur des aliments cultivés à la maison, tout comme les générations précédentes. Chaque jour, je change ce que je fais en fonction du temps. Même si ce n’est pas toujours facile, ma famille n’a pas eu besoin d’acheter de légumes ou de légumineuses au marché depuis longtemps. Nous cultivons suffisamment de nourriture, non seulement pour nous-mêmes, mais aussi pour partager avec les autres villageois.»
La transmission des savoirs est essentielle dans le développement de communautés fortes. Mais dans les métiers imaginés comme masculin, l’apprentissage peut être parfois difficile pour une femme.
Les femmes au cœur des programmes agricoles
Mishra est témoin des difficultés que représente son genre dans ce travail : « J’ai d’abord croisé le chemin de Karuna-Shechen grâce à un responsable local de quartier qui a mentionné qu’elle organisait une série de sessions de formation adaptées aux agriculteurs de notre région. Désireuse d’améliorer mes compétences et d’explorer de nouvelles méthodologies, je me suis inscrite avec enthousiasme. Je ne m’attendais pas à ce que ce programme marque un tournant aussi fort dans mon parcours.»
En tant que femme dans l’agriculture, les obstacles me semblent plus grands. J’étais bloquée par le manque d’éducation et je voulais développer des compétences. Je dois persister, pour que ma résilience se reflète dans la terre que je cultive.
Mishra Khadka, agricultrice au Sindhuli
En tant que responsable de programme, Sharmila est elle aussi témoin des difficultés particulières pour les agricultrices : « Un des défis est de lutter contre le stéréotype selon lequel être une femme limite les opportunités et la croissance. Reconnaître les femmes comme des actrices essentielles de l’agriculture durable est crucial. Malgré leur rôle vital dans l’agriculture, elles sont souvent confrontées à des obstacles tels que des ressources limitées et un pouvoir décisionnel restreint. Cela suscite tristesse et frustration. Cependant, plutôt que de céder à ces émotions, j’essaie de les canaliser dans mon travail dans le but d’apporter des changements positifs dans la vie des gens. Cela sert de moteur pour lutter contre les inégalités, promouvoir le développement durable et contribuer à l’amélioration des conditions de vie de ceux qui sont confrontés à de plus grands défis. »
« Les initiatives que nous avons lancées visent à autonomiser les femmes grâce à l’éducation, à la formation et à l’accès aux ressources. Cela leur permet de prendre des rôles de leadership et de contribuer significativement à la sécurité alimentaire. Nous abordons les inégalités basées sur le genre, en veillant à ce que les femmes participent de manière égale aux processus décisionnels liés à l’agriculture.»
Mishra nous partage alors une nouvelle vision de l’impact de la femme dans l’agriculture : « J’ai appris à apprécier la profonde signification des contributions des femmes à l’agriculture. En naviguant dans les sessions de formation et en mettant en œuvre de nouvelles techniques, je n’ai pas pu m’empêcher d’observer la passion et le dévouement inhérents que les femmes apportent à l’agriculture. Leurs rôles multifacettes en tant que productrices, aidantes et nourricières imprègnent les communautés qu’elles nourrissent.»
Dans cette optique, la célébration de la Journée internationale des droits des femmes revêt une signification accrue. Elle sert de rappel poignant des contributions inestimables des femmes dans l’agriculture et à la société dans son ensemble. Elle offre une plateforme pour amplifier leurs voix, plaider en faveur de l’égalité des sexes et favoriser l’unité entre les individus de tous genres.
Mishra Khadka
Des compétences pratiques
Mishra partage le changement significatif que cette experience a eu dans son travail « Assister aux ateliers de Karuna-Shechen s’est avéré être une expérience transformatrice. En plongeant dans les subtilités des soins post-récolte pour maîtriser l’art de cultiver un potager dynamique, chaque session a dévoilé une mine de connaissances que j’ai absorbée avec enthousiasme. Les techniciens agricoles dévoués de Karuna-Shechen m’ont transmis des idées et des techniques inestimables, me donnant une nouvelle confiance et des nouvelles compétences agricoles.»
« Ce qui m’a le plus marqué, ce sont les applications pratiques des leçons apprises. Apprendre à concocter des pesticides naturels, comprendre les nuances de la fabrication de fumier efficace et adopter les meilleures pratiques pour la production végétale n’étaient que quelques-unes des compétences que j’ai acquises. Ces nouvelles techniques ont non seulement révolutionné mon approche de l’agriculture, mais elles ont aussi insufflé une nouvelle vie à mes cultures.»
« En réfléchissant à mon parcours, je ne peux m’empêcher de m’émerveiller de l’impact profond que ces sessions de formation ont eu. Les connaissances acquises m’ont permis des rendements plus sains et une plus grande durabilité agricole. Par exemple, auparavant, mes tentatives pour faire pousser de la coriandre avaient été infructueuses mais j’ai réussi à faire pousser de la coriandre en abondance en utilisant de manière adéquate le fumier et en utilisant les techniques apprises lors des formations.»
Les programmes de sécurité alimentaire dispensés par Karuna-Shechen ont pour but d’apporter des outils pratiques et concrets aux communautés. Chaque session encourage les femmes à repousser les barrières sociales et découvrir les moyens efficaces de développer leurs cultures.
Égalité et développement par la culture
Forte de son bagage universitaire, Sharmila a conscience du trésor de connaissances et des capacités inhérentes aux communautés avec lesquelles elle travaille. À ce titre, elle témoigne des efforts collaboratifs avec les communautés locales : « Elles ont donné lieu à des solutions innovantes. Promouvoir les pratiques agroécologiques, en accord avec les contextes locaux, implique d’intégrer des principes écologiques, de renforcer la biodiversité et de développer la résilience au changement climatique.»
« Un exemple inspirant concerne une participante à notre formation en apiculture qui, après le programme, a exprimé n’avoir jamais voyagé en dehors de son district. Le simple fait de sortir pour se former était une idée folle pour elle. Sa motivation à sortir, apprendre et agir reflète le pouvoir transformateur de telles initiatives. Une autre histoire qui m’a touchée concerne une femme qui a participé à une formation en gestion de pépinière, démarrant ensuite la sienne. Elle a non seulement diversifié sa production, mais elle a également économisé de l’argent, investissant dans l’éducation de ses enfants.»
Autonomiser une femme dépasse le niveau individuel, cela élève sa famille entière, sa communauté et sa nation. L’impact de cette autonomisation contribue de manière significative à la construction de systèmes alimentaires résilients et durables.
Sharmila Pun, responsable programmes sécurité alimentaire et développement économique, Karuna-Shechen Népal