14h dans la commune de Parandha, dans le district de Gaya. Sushila Devi se dirige vers le centre d’éducation informelle, où elle a commencé des cours d’alphabétisation depuis quelques mois. Elle n’y apprend pas seulement à lire, écrire et compter, mais elle suit également des cours de géographie, nationale et mondiale, d’hygiène personnelle, de sens civique, ou des apprentissages de compétences professionnelles telles que la fabrication d’enveloppes, qui permet aux femmes étudiantes au centre d’acquérir un revenu. 

Sushila a 26 ans et fait partie des 300 femmes à prendre part à des cours pour adultes dans l’un des 25 centres opérés par Karuna-Shechen en Inde. Elles sont analphabètes, car elles ont quitté l’école jeunes ou n’y ont jamais été, et cela les handicape dans leur vie quotidienne, qu’il s’agisse de lire les panneaux de signalisation, de faire leurs comptes, ou d’aider leurs enfants à faire leurs devoirs. La faible littératie des femmes crée également un désavantage dans les décisions prises au niveau du foyer. De plus les opportunités économiques étant plus faibles, leurs revenus – quand elles en ont – le sont aussi, et le déséquilibre au sein du couple est encore plus prégnant.

Les cours ont généralement lieu de 14h à 16h, lorsque les femmes des villages alentour sont les plus disponibles, après s’être occupées de leurs enfants et des tâches domestiques le matin.

L’un des objectifs du programme est de lutter contre la féminisation de la pauvreté. En effet, d’après l’ONU, parmi les personnes pauvres dans le monde (gagnant moins d’un dollar par jour), la plupart sont des femmes. Elles gagnent en moyenne à peine plus de 50% de ce que gagnent les hommes dans le monde, et n’ont pas accès aux systèmes et opportunités qui permettent de sortir de la pauvreté. Elles n’ont pas accès non plus aux ressources telles que l’héritage, le crédit ou le prêt, et leur travail, lié au soin, n’est souvent ni reconnu ni rémunéré.  Elles sont plus touchées par la déscolarisation et donc par l’analphabétisme.

Les personnes les plus touchées par l’analphabétisme sont les Dalits, groupe social considéré comme hors-caste et très marginalisé en Inde. Pourtant malgré des progrès encore à faire, nous pouvons nous réjouir des résultats obtenus suite aux efforts nationaux sur le sujet : le taux d’alphabétisation est passé de 12% en 2001 à 74% en 2011.

La déscolarisation prive les filles de leur autonomie économique et de leur participation active à la vie socio-culturelle. Elles sont en difficulté professionnelle, familiale au sein de leur couple, et pour soutenir leurs enfants dans leurs propres études, créant un cycle de transmission des difficultés scolaires et de l’illettrisme.

Je veux vraiment savoir lire et écrire. Mon mari et moi-même sommes ouvriers, mais ces compétences me permettraient d’améliorer nos conditions de vie. Je vais au centre tous les jours pour suivre les cours, même si je suis bien occupée par mon travail, mes trois filles, et que je suis enceinte d’un quatrième enfant. Je vois que j’apprends et que je progresse, et je peux désormais lire et écrire un peu en Hindi.

Reshmi Devi, Dhobi Block, 32 ans

Dans un autre centre, au village de Phulwariya, dans le Gurwa, Rinki Devi, 27 ans, constate aussi ses progrès : elle connaît tout l’alphabet Hindi, peut écrire son nom et faire des calculs de base. Elle raconte : “Je n’ai jamais été à l’école et je travaille maintenant dans les champs. Mon mari travaille aussi, il est sur les chantiers dans la ville d’à côté, mais nous restons pauvres et tous les jours, nous avons des difficultés à nourrir suffisamment la famille, notamment nos deux enfants. Je me rends au centre tous les jours, car je veux être capable d’aider mes enfants dans leur apprentissage.” 

Susila Devi, comme Rinki, n’a jamais été à l’école, mais a toujours été intéressée d’apprendre. Elle raconte comment elle s’est rendue au centre, et les difficultés qu’elle a rencontrées : Lorsque j’ai entendu parler du centre d’éducation non formelle dans notre village, j’étais enthousiaste et je voulais m’inscrire aux cours, mais ma belle-famille s’y est opposée. J’ai demandé l’aide d’Aarti, le professeur d’éducation non-formelle (ENF), pour les convaincre et ils ont fini par m’autoriser à suivre les cours. Depuis quelques mois, j’assiste régulièrement aux cours. Je peux maintenant écrire mon nom et les membres de ma famille peuvent également lire mon nom s’il est écrit quelque part. En outre, je peux lire les mots de base en hindi, résoudre des additions, des soustractions et des multiplications en mathématiques.

Je fais de mon mieux pour enseigner à mes enfants ce que j’ai appris dans les cours d’ENF. Je me sens heureuse et chanceuse d’apprendre toutes ces choses sans dépenser un seul centime ni sortir de notre village. Mes beaux-parents sont également heureux de me voir enseigner aux enfants à la maison. Ils soutiennent désormais ma décision.

Aarti Kumari, professeure de Susila, atteste des progrès de la jeune femme : elle arrive à l’heure, étudie dur et aide les autres femmes dans leurs études. Susila vient avec beaucoup de régularité et fait partie des meilleures élèves parmi les vingt femmes étudiant dans ce centre. 

Aarti est la professeure dans ce centre depuis six mois. Karuna-Shechen lui a demandé de participer au processus de sélection des enseignants d’ENF après avoir découvert sa passion pour l’éducation des femmes lorsqu’elle a suivi les cours d’informatique dispensés par Karuna à Bodhgaya. 

Sa passion se ressent dans son enseignement : « J’utilise des chansons et des jeux pour rendre les cours plus interactifs et intéressants pour les femmes. Je poursuis actuellement ma licence en arts et j’aspire à travailler pour les forces de police du Bihar. J’aime enseigner et je suis heureuse de voir que de nombreuses femmes de notre village viennent apprendre. J’ai perdu mon père à cause de la tuberculose et depuis, ma mère et moi subvenons aux besoins de notre famille et prenons en charge les frais d’éducation de tous les enfants de la famille. Ma mère travaille comme balayeuse pour la municipalité.”

Un examen est organisé pour évaluer le progrès des élèves, et les résultats attestent de la qualité de l’enseignement, avec un pourcentage de réussite supérieur à 60% en six mois. 

La détermination des élèves associées à l’enthousiasme de la professeure font des cours d’alphabétisation un moment de cohésion et de joie, qui permettent aux femmes présentes de mettre en œuvre leurs décisions et de gagner en autonomie

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