Ce qui me touche, au-delà de la réussite de l’entreprise elle-même, c’est lorsqu’on renoue avec une forme d’humanité. Particulièrement, lorsque cela commence à avoir des effets au-delà de l’entreprise, avec nos amis, notre famille… ce moment où l’on apprend une autre forme d’écoute, une autre forme d’être en relation.
Frédéric Laloux
Cette table ronde réunit Frédéric Laloux et Matthieu Ricard pour aborder les questions du bien-être au travail, des processus de réorganisation et des outils à disposition de chaque individu pour changer leurs pratiques au travail. Frédéric Laloux est l’auteur de l’ouvrage Reinventing Organizations, il s’est fait connaître pour son analyse des différents modèles d’organisation existants dans le monde. Il a ainsi mis en lumière des structures innovantes et bienveillantes qui favorisent le bonheur et l’accomplissement de chaque individu au travail. Matthieu Ricard est moine bouddhiste, photographe et cofondateur de l’ONG Karuna-Shechen.
La rentabilité d’une entreprise, nécessaire à sa survie, est tout à fait compatible avec la prise en compte de l’individu dans sa totalité. Les résultats économiques, humains et environnementaux sont même meilleurs !
Là où l’exhortation constante à la productivité et à la compétitivité assujettie les individus à des peurs limitantes, une organisation du travail bienveillante qui se focalise moins sur les résultats que sur la qualité des relations humaines en obtient au final de meilleurs. Une entreprise fondée sur le modèle de pensée mécaniste hérité de la révolution scientifique conduit au burnout professionnel des employés comme des patrons. Il y a quelques années, l’OCDE a mené une enquête d’opinion dans les trente pays les plus riches en demandant aux individus de classer les dix facteurs qui contribuent le plus au bien-être. Le salaire n’arrivait qu’en sixième position ! Le premier étant la qualité des relations humaines.
Effectivement, un lieu où il fait bon de travailler est une entreprise prospère. L’épanouissement de tous est justement assuré par le management dont le rôle est de créer les conditions qui permettent aux personnes d’aller vers ce vers quoi elles ont envie de faire naturellement. Il faut déconstruire la fausse idée selon laquelle l’efficience des structures serait assurée par un pouvoir centralisé et hiérarchisé et que les modèles organiques seraient, quant à eux, voués au « chaos ». Il suffit de prendre l’exemple du système le plus complexe qui soit, le cerveau humain, qui s’auto-organise à mesure du développement de l’individu, sans qu’il n’y ait à proprement parler de « poste de contrôle » dans le cerveau. Tout comme dans un organisme vivant, il existe au sein de l’auto-organisation des processus de décisions pour tous les aspects de la vie au travail, mais l’ensemble du système est fondé sur la qualité des relations humaines : la coopération, la considération d’autrui, le respect de ses capacités particulières.
Le cerveau est de loin la structure la plus complexe pour autant il n’y a pas de contrôle centralisé !
Matthieu Ricard
L’évolution devrait nous pousser à être beaucoup plus altruistes et coopératifs, ce serait le trait de survie le plus utile à notre époque. Nous pouvons tous à notre échelle favoriser l’altruisme dans une structure qu’elle soit publique ou privée, simplement en commençant par nous questionner sur ce qui ne nous convient plus dans le modèle actuel et ce qui nous attire. Ensuite, il s’agit de faire le plus petit pas possible pour expérimenter de nouvelles méthodes autour de soi, avec son équipe par exemple. Le passage de valeurs théoriques qui nous motivent et nous inspirent à leur réalisation dans une organisation bienveillante et prospère se fait par des outils extrêmement pragmatiques et concrets.
Comme une structure organique, l’altruisme au travail se développe naturellement dès qu’on le place au cœur de nos motivations et que l’on fait appel à l’humanité des individus au lieu de simplement considérer leur fonction.