Dans le cadre de la deuxième édition des Rencontres Altruistes organisées par Karuna-Shechen à la Fondation GoodPlanet, Matthieu Ricard, fondateur de Karuna-Shechen et Flore Vasseur, réalisatrice de Bigger than Us parlent de l’engagement avec Elsa Da Costa, directrice d’Ashoka. 

Notre système ne fonctionne que parce qu’il crée des injustices. Tant qu’on n’attaque pas ces injustices, on peut se gargariser de tout ce qu’on veut, on n’attaquera rien du tout. Comment je contribue le moins possible à cette injustice ? En évitant de nuire.

Flore Vasseur

Bigger than Us : ce documentaire réalisé par Flore Vasseur, suit 6 jeunes engagés et engagées : Melati Wijsen contre la pollution plastique en Indonésie, Memory Banda contre le viol institutionnalisé et le mariage forcé au Malawi, Winnie Tushabe pour le développement et l’émancipation par la permaculture en Ouganda, Rene Silva pour un journalisme de proximité par et pour les communautés des favelas au Brésil, Xiuhtezcatl Martinez contre les forages de gaz de schiste aux Etats-Unis, Mohammad Al Jounde pour l’éducation des enfants réfugiés au Liban, et Mary Finn pour le sauvetage en mer des migrants en Grèce. 

Dans cet échange d’une heure et demie, Matthieu, Flore et Elsa, abordent l’engagement par le prisme du sentiment d’impuissance, de l’éducation, de l’interdépendance, des bifurcations et du sens de direction. Ils s’accordent pour dire que la peur et l’égo sont les obstacles principaux à l’engagement. 

Combattre le sentiment d’impuissance

Il n’y a pas d’intention de détruire la planète, donc la responsabilité de sa destruction et de son sauvetage est diluée. Comme le rappelle Matthieu Ricard, les humains sont équipés pour réagir aux dangers immédiats, or la crise du système Terre ne montre pas son caractère urgent. 

Pour réussir à se mobiliser, malgré le sentiment que nos actions individuelles sont insignifiantes, il faut identifier que la responsabilité est universelle et comprendre la notion de masse critique : il suffit qu’un petit pourcentage de la population trouve inacceptable de ne pas agir pour que la société bascule

L’éducation pour un monde plus altruiste. 

Flore Vasseur raconte ce qu’Edward Snowden lui a confié : toutes les solutions à nos problèmes existent. Ce qui manque, c’est la culture qui les rendent applicables. 

Matthieu Ricard propose de rejeter la supposition que les valeurs morales sont toutes culturellement relatives pour enfin pouvoir enseigner certains principes à l’école : solidarité, sentience, évitement des souffrances inutiles. Cependant, Flore nous rappelle : “On parle de l’éducation des enfants, mais commençons par nous, les adultes !”  

L’interdépendance

On s’inquiète de la disparition des abeilles, mais je viens ici vous dire que ça attaque nos enfants maintenant !

Flore Vasseur

Nous ne sommes pas séparés de la nature, comme l’arrogance humaine veut nous le faire croire. L’émerveillement a un rôle à jouer dans cette reconnexion. Le fondateur de Karuna-Shechen partage : « On sort forcément de la bulle de l’égo, quand on est devant la beauté sauvage de la nature. C’est plus grand que soi, ça dépasse l’individu ».

La peur et l’égo

Matthieu Ricard éclaire le lien entre ces deux notions : la peur vient d’être centré sur soi-même, de se croire indépendant de ce qui nous entoure. Cela est en porte-à-faux avec la réalité, interdépendante, et engendre donc des comportements dysfonctionnels, pour soi, les autres et le vivant. Le monde surgit en ennemi, des menaces innombrables face à un individu. 

Se décentrer de soi permet une diminution de la menace. L’intrépidité, c’est l’état dans lequel nous n’avons plus rien à perdre, ni rien à gagner, mais tout à donner. Alors, intervient le courage, et l’engagement compassionnel. Comme un médecin qui agit pour ses patients avec précision, sans pleurer chaque douleur, mais qui soigne les blessures. Cette analyse, énoncée par Matthieu, est partagée par Flore, qu’elle a reçue des protagonistes du documentaire : l’engagement est possible lorsque l’on met son ego “dans une petite boîte”, que l’on s’en détache, même un instant, imparfaitement. On devient connecté à plus grand que soi. 

Une jeunesse en souffrance

Difficile de demander à ce que chacun s’ouvre aux autres, quand la relation à soi est si douloureuse. Matthieu rappelle les chiffres de la scarification en Europe, et le besoin du soin. Des personnes pensent que le bonheur leur est interdit. Flore renchérit, les perspectives de la crise environnementale rendent les gens, surtout les moins de 30 ans, angoissés et pessimistes quant à leur futur : c’est l’éco-anxiété. Elle appuie : l’éco-anxiété, ce n’est pas l’accumulation de mauvaises nouvelles, c’est le silence dans les familles, l’impossibilité pour les enfants et les jeunes d’y trouver un espace pour partager leur angoisse

Vers un monde plus altruiste

Avec l’égoïsme, tout le monde est perdant. Avec l’altruisme, tout le monde est gagnant. Il s’agit du seul concept capable de réunir les trois échelles de temps : court, moyen et long terme.

Matthieu Ricard

Cette conversation éclaire les barrières à l’engagement, et tisse des ponts nécessaires entre des générations qui ne se comprennent pas : les jeunes, angoissés, qui se sentent seuls, et les adultes, désarmés, qui ne prennent pas conscience de leur propre besoin de changement intérieur.