« Notre personnel rencontre de nombreux obstacles lors de la mise en œuvre des programmes pendant cette saison. Naviguer sur des routes et des dénivelés périlleux amplifie le risque de glissements de terrain. Le temps nécessaire pour se déplacer entre les sites du programme a considérablement augmenté. Traverser de petites rivières devient risqué, surtout lorsque des crues soudaines emportent les sentiers. Même l’aide immédiate d’un bulldozer n’a pas pu réparer les dégâts causés par la montée des eaux. »
Alors que les nuages se rassemblent et que le tambourinement rythmé des gouttes de pluie remplit l’air, les équipes de Karuna continuent de collaborer avec les communautés pour briser le cycle de la pauvreté.
Cet article souhaite donner un aperçu des obstacles auxquels les équipes sont confrontées lors de la saison des pluies. Alors que nous sommes témoins du pouvoir transformateur de notre travail, nous pensons qu’il est essentiel de mettre également en lumière les difficultés rencontrées sur le terrain, ainsi que l’extraordinaire résilience et adaptabilité dont font preuve les équipes.
Une saison mettant en difficulté les activités des communautés
La saison des pluies apporte son lot de défis. À Darjeeling (Inde), par exemple, la saison des pluies atteint généralement son apogée en juin, juillet et août, mais elle peut durer jusqu’en septembre. Le ciel est à peine visible tout au long de cette période, les précipitations sont incessantes et impitoyables. La visibilité est grandement affectée, ce qui rend les déplacements difficiles. Pendant cette saison, les glissements de terrain sont fréquents, bloquant les routes et empêchant les transports et les communications.
Le coordinateur de programme de la Vallée de Ruby (Népal), Umesh Nakarmi, assume la responsabilité de superviser, de mettre en œuvre et de veiller à tous les projets sur cette zone. Il analyse : « La saison des pluies s’est révélée imprévisible et redoutable. Nos agriculteurs sont en difficulté : les glissements de terrain leur font subir des pertes. En effet, ces derniers créent des retards dans la récolte des pommes de terre, qui pourrissent; ils perturbent la plantation du millet, et entravent les déplacements et donc l’accès au marché donc à leurs revenus.»
Nikita Rai travaille depuis mars 2023 en tant que coordinatrice principale à Mirik, Darjeeling, pour Karuna-Shechen Inde :
« Le relief montagneux est sujet aux glissements de terrain, qui bloquent généralement les routes menant aux villages et il faut plusieurs jours pour dégager le passage. Les déplacements sur le terrain pendant la saison des pluies prennent plus de temps car les sentiers des villages sont principalement recouverts d’algues, ce qui rend le sol extrêmement glissant et difficile à parcourir. En raison du courant, traverser les ponts en bambou au-dessus des ruisseaux et des rivières se révèle difficile. On peine à réunir tous les bénéficiaires ou organiser une réunion communautaire les jours de pluie. En plus de cela, il y a une augmentation des risques de coupure d’électricité, ce qui complique la communication avec les volontaires du village.»
Adapter les projets à la saison
Les incidents et les défis liés au transport sont un thème récurrent pendant cette période. La logistique des projets doit donc s’adapter. Par exemple, l’envoi de matériaux de construction et de fournitures de bureau, ainsi que la réalisation des visites nécessaires depuis le bureau de Katmandou, posent d’importantes difficultés. La solution est donc de pré-positionner la plupart des matériaux et des fournitures avant que les routes ne deviennent impraticables, en s’appuyant sur les déplacements à pied à partir du dernier point accessible.
Le rythme de travail des employés de Karuna s’en trouve modifié. En Inde, Bidisha Yonzon, coordinatrice de projet, raconte :
« Habituellement, je travaille sur le terrain trois à quatre jours par semaine, mais pendant la saison des pluies, cela se réduit à un ou deux jours. De grandes quantités de sacs en jute, de fleurs et de serviettes hygiéniques doivent être transportées avec beaucoup de précautions car la pluie pourrait endommager les marchandises pendant le transport. Organiser des réunions communautaires est un défi car il est difficile de rassembler les gens les jours de pluie. De nombreux bénéficiaires ont signalé comment les fortes pluies ont ruiné les semences des potagers qu’ils avaient semées cette saison. Il est donc difficile de suivre les activités en allant personnellement chez chaque bénéficiaire les jours de pluie. Je m’adapte à la saison des pluies en planifiant mes travaux sur le terrain les jours où il y a peu ou pas de pluie du tout. Afin de ne pas voir nos affaires détruites, nous nous assurons d’envoyer les articles sur le terrain un jour où il ne pleut pas. Pour le bon fonctionnement de nos programmes, je mène souvent des entretiens téléphoniques pour recueillir des retours et je reste en étroite collaboration avec les volontaires et les motivatrices sur le terrain. »
Les activités doivent également être adaptées aux besoins et disponibilités des membres des communautés partenaires. En effet, la saison de la mousson est particulière pour eux, car elle est généralement dédiée à l’agriculture. Rahul Shrestha, directeur des programmes éducation et environnement au Népal, est chargé de planifier le bon déroulé des projets :
« La saison des pluies revêt une grande importance pour l’agriculture dans nos communautés. Les gens sont occupés dans leurs champs, en plantant des cultures essentielles comme le riz et le maïs. De nombreuses communautés et activités centrées sur les écoles sont interrompues à cause des intempéries et la fermeture prolongée des écoles de juillet à août offre une opportunité unique de formation continue des enseignants. »
Assurer la sécurité des équipes de Karuna
L’équipe sur place est confrontée à son propre ensemble de défis alors qu’elle traverse des zones reculées à pied. Nous décourageons les déplacements dans les zones à haut risque, en maintenant une communication constante avec les équipes sur le terrain pour assurer leur sécurité et recevoir des mises à jour sur la situation.
Selon les circonstances, certaines activités peuvent être reportées, tandis que d’autres, telles que les projets environnementaux et de sécurité alimentaire comme les plantations, sont réalisées en coordination avec l’équipe sur place et les autorités locales.
Bhimsen Raut Chhetri, conducteur de Karuna au Népal depuis de nombreuses années, partage les obstacles liés à la mauvaise qualité des routes, aggravée par les intempéries et les glissements de terrain :
« Parmi les obstacles les plus importants, il y a le besoin constant de dégager la route en déplaçant de grosses pierres, les multiples situations où il faut pousser et tirer les véhicules, voire creuser les routes. Dans de telles situations, nous comptons souvent sur l’aide des membres de la communauté. Au-delà du stress physique, il y a aussi une tension mentale considérable, craignant d’endommager le véhicule et donnant la priorité à la sécurité des passagers. Une fois que nous restons coincés, il n’y a pas de retour en arrière, ce qui intensifie le sentiment de responsabilité.»
Urbashi Pradhan, responsable suivi-évaluation en Inde dans le Darjeeling raconte :
Lorsque je ne peux pas me rendre sur le terrain, je travaille sur la documentation confiée par l’officier de rapport. Je me concentre également sur les tâches de bureau qui peuvent être effectuées en intérieur, telles que la saisie des données, l’organisation des données et le suivi téléphonique avec les volontaires, les motivatrices et les bénéficiaires. La demande de devis auprès des fournisseurs pour différents articles fait également partie des tâches que j’effectue pendant les périodes où je ne suis pas sur le terrain.»
Transformer la catastrophe en opportunité
La situation crée des interrogations stratégiques qui permettent de faire avancer l’organisme vivant. Umesh raconte :
« En réfléchissant à nos expériences, nous, chez Karuna-Shechen, reconnaissons le besoin urgent de donner la priorité à un programme complet de réduction des risques de catastrophe. Il est impératif d’étendre ce programme au niveau des quartiers et des municipalités, en responsabilisant les comités locaux pour prendre en charge sa mise en œuvre. En sensibilisant et en favorisant la préparation au sein de la communauté, nous pouvons atténuer les effets de la mousson et protéger les vies et les moyens de subsistance.
Malgré les défis, il y a des points positifs pour les agriculteurs ici. La saison des pluies facilite la culture du riz et du millet. De plus, les niveaux d’eau dans les sources sèches augmentent pendant l’hiver, éliminant ainsi la pénurie d’eau potable. La gestion facile des réservoirs d’eau bénéficie à l’ensemble de la communauté ».
Il est impératif d’étendre ce programme au niveau des quartiers et des municipalités, en responsabilisant les comités locaux pour prendre en charge sa mise en œuvre.
Umesh Nakarmi
De plus, bien que la mousson pose de nombreuses difficultés pour ceux qui vivent dans les régions montagneuses, c’est l’une des saisons les plus attendues pour ceux des régions plus plates comme le Bihar et le Jharkhand. Les étés rigoureux deviennent de pire en pire chaque année, et ils font face à une chaleur extrême pendant le pic de la saison, ce qui pose de graves risques pour la santé. Des centaines de personnes perdent la vie chaque année en raison de la chaleur. Le gouvernement local met en place des restrictions de déplacement pour assurer la sécurité de ses citoyens.
Pendant cette période, les écoles et les collèges sont temporairement fermés. Avec l’arrivée de la mousson, les gens sont soulagés car la chaleur intense de l’été est atténuée par la pluie. Les averses de pluie rendent les plantes plus vertes et apportent de la fraîcheur. Les vastes terres arides sont remplies de rizières verdoyantes et c’est la saison parfaite pour commencer les jardins potagers. La mousson remplit les rivières qui ont été sévèrement touchées par la sécheresse.
« Malgré tous les inconvénients, je préfère travailler pendant la mousson. Je ne m’inquiète plus de la chaleur grâce à la douceur de l’extérieur. Les légumes frais sont également abondants dans les jardins de nos bénéficiaires à cette époque, et je peux toucher davantage de personnes grâce à nos initiatives en matière de sécurité alimentaire. »
Imprévisibles et destructrices, les moussons ne vont pas s’adoucir au cours des prochaines années, bien au contraire. Elles sont rendues plus violentes encore par le dérèglement climatique. Karuna ne peut pas avoir d’impact sur la manière dont la nature agit, mais les équipes sont dévouées à trouver des solutions de mitigation, pour continuer à travailler, à avoir le meilleur impact possible, et surtout à accompagner les communautés dans leur autonomisation et leur résilience. L’une des clés est de comprendre les aspects positifs que ces changements peuvent produire, et de les exploiter. Ainsi, si les moussons posent des problèmes en termes d’endommagement des routes et des cultures, elles garantissent de plus grandes quantités d’eau dans des pays qui souffrent de la sécheresse.