Les raisons que nous avons d’agir tel que nous le faisons sont diverses, ainsi que nous l’expliquons dans ce précédent article. Et parfois, elles nous amènent à des actions qui ne sont pas en cohérence avec nos valeurs. Cela crée la dissonance cognitive, une tension interne théorisée par Leon Festinger en 1957. Cette dissonance se fait ressentir lorsque l’individu a conscience de l’incohérence entre ses cognitions et ses actes. Face à la dissonance cognitive, nous avons tendance à justifier nos actes, pour créer une cohérence artificielle avec nos valeurs, mais nous pouvons aussi choisir de changer nos comportements.

Dissonance cognitive : le symptôme d’une tension interne

Il est possible que l’écart entre nos valeurs ou non intentions et notre comportement crée une tension interne. C’est ce que l’on appelle la dissonance cognitive, théorisée par Leon Festinger en 1957 dans son ouvrage Une Théorie de la dissonance cognitive. Elle ne peut se faire ressentir que lorsque l’individu a conscience de l’incohérence entre ses cognitions et ses actes. Tout comportement incohérent avec nos intentions ne mène donc pas automatiquement à une dissonance.

Au-delà de servir à justifier un comportement qui s’oppose à une vision, la dissonance peut apparaître pour tenter de : 

  • Minimiser des choix irréversibles : Tempête devient le meilleur cheval du monde, (alors qu’il est objectivement lent), parce qu’on vient de parier dessus ; 
  • Expliquer des sentiments inexplicables : se persuader que le commerçant voisin est odieux parce que l’on est jaloux de lui ; 
  • Justifier un effort ou une souffrance : dire que le repas de famille à l’autre bout de la France était fort sympathique alors qu’il a été le théâtre de disputes incessantes ;
  • Justifier un comportement contraire à ses valeurs ou sa vision : j’ai été injurieux envers quelqu’un sans raison, mais c’est parce que j’ai passé une mauvaise journée ; ou 
  • Réaffirmer ses croyances antérieures lorsqu’elles semblent ne plus avoir de sens : réinterpréter le non-avènement d’une prophétie. 

Les idéaux et le souci de cohérence ne doivent pas se transformer en autotyrannie : l’exigence doit aussi s’accompagner de bienveillance envers nous-mêmes, de tolérance envers nos erreurs et nos imperfections.

Christophe André, Trois amis en quête de sagesse

Notons que l’intensité de la dissonance varie en fonction de l’importance portée aux cognitions conflictuelles et de leur proportion. D’ailleurs, plus l’apprentissage de nos croyances ou comportements est douloureux, plus la remise en cause sera difficile, car cela reviendrait à admettre que l’on a souffert pour rien par le passé. La dissonance sera d’autant plus forte. 

Atténuer la dissonance : changer ou justifier

Pour atténuer l’inconfort créé par la dissonance cognitive, l’être humain adopte une des trois stratégies inconscientes identifiées.

La première d’entre elles consiste à changer de comportement pour en adopter un en concordance avec notre système de valeurs. 

Exemple : je sais que la fast-fashion contribue à l’exploitation de personnes vulnérables, à l’aggravation des inégalités et à la pollution de l’environnement. Je décide donc de changer mes habitudes consuméristes et d’acheter des produits de seconde main, moins souvent et/ou de marque éthique.

Cependant, selon les chercheurs, le plus souvent, nous tentons de justifiernotre comportement plutôt que de le changer. C’est le cas quand nous modifions rétroactivement la cognition conflictuelle. C’est-à-dire que nous révisons nos croyances, interprétons des évènements, créons des biais de confirmation, ou minimisons la cognition conflictuelle. 

Exemple : ne plus acheter d’habits neufs de marques non-éthiques est trop dur. Pour chaque pièce achetée, j’en revends une.

Enfin, une autre solution réside dans le fait de rationaliser notre comportement en ajoutant une nouvelle cognition

Exemple : je continuerai à me procurer mes habits chez des grandes enseignes mais pour compenser, je ne prendrai plus l’avion. 

De la dissonance à la résonance

Quand on ressent une dissonance, il est recommandé de s’interroger sur la provenance de cet inconfort et d’identifier les valeurs qui ont été bousculées. Elles sont sûrement très importantes pour nous à ce moment précis de notre vie. Ce sont celles qu’il faut tenter de protéger en faisant des choix qui sont en adéquation. La méditation comme moyen d’introspection peut être une façon de mieux se connaître pour savoir quel est notre socle de valeurs et où sont nos limites. 

Lorsque l’éthique est le reflet de nos qualités intérieures et guide notre comportement, elle s’exprime naturellement dans nos pensées, nos paroles et nos actes, et devient une source d’inspiration pour les autres.

Matthieu Ricard, L’infini dans la paume de la main

Lorsque nous sommes face à une personne qui n’agit pas de façon alignée à son ensemble de valeurs et de connaissances, il faut éviter de pointer du doigt les agissements contradictoires d’une personne qui ressent de la dissonance cognitive : cela risque d’être contre-productif, notamment quand les croyances remises en cause sont partagées par toute une communauté. 

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Comment susciter le changement de comportement ?

Il arrive, et arrivera encore sans doute que nous fassions des choix que nous serons amenés à regretter. L’important c’est d’abord de comprendre pourquoi nous les faisons : qu’est-ce qui nous a empêchés de rester fidèles à nos convictions ou perceptions ? C’est là-dessus que nous pourrons ensuite travailler. Les études comportementales ont permis d’identifier quelques méthodes pour changer de comportement. Elles peuvent être appliquées à soi-même ou à autrui mais sont à adapter à chacun. 

Nos motivations, qu’elles soient bienveillantes, malveillantes ou neutres, colorent nos actions. On ne peut pas distinguer le comportement altruiste du comportement égoïste, un mensonge destiné à faire le bien d’un autre prononcé au mal, par la seule apparence des actions.

Matthieu Ricard, Plaidoyer pour l’altruisme

Déculpabiliser

Tout d’abord, il est préférable de déculpabiliser : personne n’est parfait. Tout le monde a déjà expérimenté un décalage entre ses valeurs, ses croyances, ses connaissances ou ses cognitions et le comportement qu’elle a fini par adopter.  

Confier ses résolutions à autrui

Communiquer ses résolutions à d’autres personnes est une manière de s’engager à ne pas abandonner pour ne pas décevoir (en veillant à ce que cela ne devienne pas une tare). 

Établir un plan d’action 

Établir un plan d’action cohérent avec nos intentions est une stratégie d’auto-régulation qui permet l’apparition de nouveaux automatismes et permet de lutter contre les situations auxquelles on n’arrive pas à faire face. Pour être efficace, il doit être concret et clair. 

Exemple : « Lorsque X et Y tiennent des propos déplacés [situation], je compte leur faire remarquer qu’ils peuvent blesser des gens [solution]. Je tiens à garder mon calme et à ouvrir le dialogue, sur le moment ou un peu plus tard. [actions] ». On retrouve ici un schéma simple qui peut être adapté au besoin : « Je compte adopter un comportement X en faisant Y lorsque je me retrouve face à une situation Z. ». Reste à s’assurer que l’on ne tombe pas dans des automatismes dissonants. 

Il est important de se faire confiance, de croire en sa capacité à réussir ce qu’on s’est donné comme objectif. Valoriser ses succès nous conforte dans notre évolution et encourage le progrès.

(S’) Informer

Comme dit au début de cet article, il arrive que nous ne nous sentions pas concernés par un sujet, que nous ne parvenions pas à voir en quoi notre action individuelle pourrait être bénéfique, à la fois pour nous et pour la société ou que nous refusions d’agir seuls. Il est recommandé de se renseigner et d’informer la population sur les conséquences négatives de leurs actes actuels mais aussi des bienfaits ou de la nécessité d’un changement. Cette communication doit être personnalisée pour que les destinataires puissent se sentir concernés. C’est ce qui leur permet d’une part de savoir de quelle manière ils peuvent être affectés et d’autre part de savoir comment leurs agissements peuvent affecter les autres. 

En cultivant son état d’esprit altruiste et en prenant conscience de l’interdépendance qui unit les êtres sentients, on se rend compte que nos actions ont forcément des répercussions sur la vie d’autrui. Acheter des produits éco-responsables et éthiques, par exemple, est une forme d’engagement pour que les producteurs reçoivent un salaire juste leur permettant de vivre une vie décente. C’est aussi s’assurer qu’ils ont été produits de manière durable et donc, agir en faveur de la préservation de l’environnement.

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Créer les conditions de transformation

Lorsque l’on cherche à inspirer le changement, il faut garder en tête que la transformation peut être difficile : compassion et encouragements sont donc de mise. Pour créer les conditions de cette transformation, on peut utiliser la méthode COM-B (capability, opportunity, motivation, behavior). La personne est-elle en capacité, physique et psychologique, de changer ? A-t-elle l’opportunité (sociale et psychologique) d’adopter un nouveau comportement ? Et possède-t-elle la motivation suffisante pour le faire ? Si l’un des éléments manque, il faut le créer pour favoriser le changement. 

C’était tout l’enjeu de l’intervention d’Innovations for Poverty Action qui se sont rendu compte que malgré le manque d’eau potable et l’existence de chlorine pour traiter l’eau, les populations au Kenya ne s’en servaient pas. Pour y remédier, leur équipe a installé un distributeur de chlorine à côté de la fontaine à eau du village. Une solution visible, pratique, accessible et efficace : le taux d’utilisation du purificateur tournait à 60-61% contre entre 6 à 14% pour le groupe contrôle et ce même deux ans plus tard.

Si notre comportement est parfois source de confusion ou de tension parce qu’il ne reflète pas nos valeurs ou nos intentions, rien n’est perdu. Nous pouvons toujours nous entraîner pour nous assurer de ne pas reproduire les mêmes agissements. Comprendre pourquoi nous agissons de telle ou telle manière et essayer de changer n’est pas simple, mais c’est indispensable pour rester en adéquation avec soi-même, devenir plus altruiste et participer à la construction d’un monde meilleur.

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Sources